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Brève n° 64

 

La collection du professeur Robertson

 

Billet du mardi 17 avril 2007 sur le blogue web.mac.com/sprovost/Marsyas_redux/

 

Six petites œnochoès du Ve siècle av. J.-C. vont être officiellement restituées demain à la Grèce au cours d’une cérémonie présidée par le ministre de la Culture. Mais à l’inverse des récentes restitutions faites par le Getty Museum par exemple, il ne s’agit pas d’antiquités ayant fait l’objet d’un commerce illicite : ce sont les pièces d’une petite collection, inconnue sinon illégale, appartenant à l’un des grands noms de l’archéologie grecque en Grande-Bretagne, le professeur Martin Robertson. L’illustre savant, titulaire d’une chaire d’archéologie et d’art classique à l’université d’Oxford, président du conseil d’administration de la British School at Athens (de 1959 à 1968), possédait ainsi une petite collection de vases grecs inédits, dont peu de personnes connaissaient l’existence avant la mort de leur propriétaire le 26 décembre 2004 : dans son testament, le professeur avait pris soin de demander la restitution de ces œuvres à la Grèce, et spécifiquement au Musée de l’Agora : les vases proviendraient donc de l’agora d’Athènes, mais on ignore quand et comment ils ont été acquis par Robertson. Celui-ci s’était rendu pour la première fois à Athènes, comme simple étudiant, dès les années 1930, alors que l’École américaine commençait tout juste ses gigantesques fouilles de l’Agora (à partir de 1931) : il eut peut-être là déjà l’occasion de faire ces acquisitions, qualifiées d’illégales par la presse, mais il n’est pas exclu non plus qu’elles soient survenues beaucoup plus tard. L’étude de la céramique a en effet tenu une grande place dans ses recherches, jusqu’à la publication de son ouvrage classique sur le sujet, The Art of Vase-Painting in Classical Athens en 1992. Comme le souligne Éleuthérotypia, il ne devait pas être très fier de cette collection probablement illicite, puisqu’il n’en révéla jamais l’existence. Le journal souligne aussi l’aubaine que représente, en matière de symbole, cette restitution volontaire, comme un remords posthume, de la part d’un membre éminent de l’Academia britannique, qui de surcroît fut conservateur au British Museum — il n’en fallait pas tant pour faire le parallèle avec les sculptures du Parthénon…

 

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La cérémonie a eu lieu et a permis d’éclaircir quelque peu cette affaire, montrant par là même que l’article d’Éleuthérotypia contenait pas mal de spéculations infondées sur le caractère illégal de l’origine des vases. M. Robertson avait en effet hérité lui-même les œnochoès de Lucy Talcott, une archéologue américaine qui faisait partie de l’équipe supervisant les fouilles de l’Agora dans les années 1930-1940. Elle les avait achetées chez un antiquaire en Grèce. Contrairement encore à ce qu’écrivait la presse grecque hier, Robertson ne se cachait pas de posséder des antiquités grecques : dans une allocution prononcée hier lors de la cérémonie, l’ancienne attachée culturelle à l’ambassade de Grèce à Londres, V. Solomonidou, a en effet révélé qu’elle avait rencontré le Pr. Robertson à Londres en 1983 et qu’il avait eu alors l’occasion de lui mentionner sa collection. Elle avait alors encouragé à plusieurs reprises le professeur à restituer les œuvres à la Grèce mais celui-ci s’y était toujours refusé, mentionnant toutefois la possibilité d’un futur legs. Le fils de Robertson, également présent à la cérémonie, a confirmé cette histoire et s’est joint à ses hôtes grecs pour dire que cette restitution pouvait montrer aux autorités du British Museum qu’une telle action était possible.

 

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La presse grecque revient aujourd’hui sur la cérémonie et toute mention du caractère légal ou non de la collection a disparu, en particulier dans Éleuthérotypia, qui avait le plus explicitement posé la question, comme on l’a vu. Le quotidien a toutefois donné quelques indications supplémentaires sur l’origine des vases, qui n’est pas entièrement éclaircie, citant les explications de V. Solomonidou : c’est en 1970 que le professeur a hérité de la collection de Lucy Talcott. On suppose que la secrétaire des fouilles américaines de l’Agora les avait achetés chez un antiquaire athénien. Mais, contrairement à ce qui était indiqué hier, ces vases ont bien été publiés, par L. Talcott elle-même, dans le XIIe volume de The Athenian Agora, comme appartenant à une collection privée et provenant de l’Agora. Voilà qui explique évidemment pourquoi c’est spécifiquement au musée de l’Agora qu’ont été rendus les vases.

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 7 MARS 2008

 

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