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Brève n° 70

 

Eros et philia dans un article récent du Monde

La femme au temps du roman grec ancien

Programme CPGE 2007-2008

 

Descriptif : Maurice Sartre, "Un décryptage minutieux de Sophie Lalanne. La femme au temps du roman grec ancien", Le Monde, rubrique "Livres", 14 juillet 2006.

 

Le roman grec n’a pas bonne réputation : exotisme de pacotille, aventures extravagantes, caractères sommaires des personnages, trame répétitive de l’un à l’autre. Tout n’est pas faux dans ces clichés, encore que le jugement ne se fonde guère que sur cinq romans entièrement conservés et des bribes de quelques autres.

Mais il est plusieurs manières de les lire et, avant que ne paraisse en français un livre où Glen W. Bowersock montre tout ce que la fiction romanesque peut nous apprendre sur la culture et la société gréco-romaines de l’époque impériale (1), Sophie Lalanne s’est livrée à un décryptage minutieux de ce qui pourrait n’apparaître que comme une collection de fadaises et propose de retrouver, à travers les aventures des héros, rien de moins qu’une anthropologie de la jeunesse grecque et des genres sexués, en priorité des femmes. Certes, la démonstration vaut d’abord pour les élites urbaines grecques et pour la période, assez courte, où fleurit le genre, aux IIe et IIIe siècles de notre ère, même si Les Ethiopiques d’Héliodore doivent être placées à la fin du IVe siècle, ultime survivance du genre. Mais le roman grec emprunte suffisamment de matériaux à des réalisations plus anciennes pour que son enseignement ait une valeur quasi générale.

Sophie Lalanne retrouve dans les aventures des héros et héroïnes les étapes indispensables du processus initiatique (exclusion, marginalisation/inversion, réintégration) telles qu’elles ont été mises en évidence depuis Arnold van Gennep. Avec les conventions du roman d’aventures, l’enlèvement par les pirates, les tentatives presque réussies de viol, les retrouvailles inattendues, le roman offre une matière bien plus riche que les récits d’initiation laissés par quelques auteurs antiques, et c’est tout l’intérêt de la démonstration que de montrer comment cette trame est enrichie, sans jamais disparaître. Là où le jeune Grec initié se contente d’expériences limitées (chasser de nuit, vivre en marge), les héroïnes des romans vivent d’incroyables aventures qui les font voyager dans les milieux et les conditions les plus inattendus, autant de péripéties qui contribuent à transformer la jeune fille en femme accomplie.

Ainsi, à travers ses multiples rebondissements, le roman propose une image de la femme idéale, dont les vertus construisent peu à peu une représentation grecque du genre, parfaite épouse, pieuse et vertueuse avant toute chose, sans réelle personnalité propre. Mais, par contrecoup, le roman offre aussi un modèle d’ andreia (masculinité idéale), en même temps qu’il défend la supériorité hiérarchique des hommes au sein de la société, fût-ce au prix de la violence faite aux femmes et de l’étouffement de leur identité propre.

Reste à apprécier dans quelle mesure le roman d’époque impériale donne une image réaliste des hiérarchies sociales du temps. A en juger par ce que nous apprennent les inscriptions, monuments de la vie réelle, on peut se demander si le roman ne véhicule pas une vision très conservatrice du rôle respectif des sexes, partiellement démentie dans la réalité. Mais ce décalage même peut se révéler instructif.

 

P.-S. Sophie Lalanne, Une éducation grecque - Rites de passage et construction des genres dans le roman grec ancien, La Découverte - Textes à l’appui 2006, 27.50 €, 312 pages, ISBN : 2-7071-4365-0, format de 13,5 x 22 cm

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 24 mars 2008

 

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