Brève n° 72
Mises en scène
Descriptif : Martine Silber, "« L’Orestie » d’Eschyle, un
précis de démocratie pour aujourd’hui", dans "Le Monde",
rubrique "Théâtre", 11 décembre 2007
A Aubervilliers,
David Géry adapte habilement la trilogie antique
Pour
le metteur en scène David Géry, il devrait être « d’utilité
publique » de monter L’Orestie d’Eschyle, « au nom de la
civilisation, au nom de la démocratie, au nom de notre humanité ». Ce pari
qu’il a voulu tenir au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers, se double d’un
autre, faire tenir cette trilogie antique (Agamemnon, Les Choéphores et Les
Euménides) en une seule soirée. Et c’est plutôt réussi.
Le
fil rouge, ces meurtres familiaux qui en entraînent d’autres, est un peu
difficile à saisir au début mais se met ensuite en place : Agamemnon
rentre victorieux en son palais, mais il doit sa victoire aux dieux qui ont
exigé le sacrifice de sa fille Iphigénie. Sa femme, Clytemnestre, l’attend, mue
par la vengeance. Elle le tue, avant d’être tuée à son tour par son fils
Oreste, poussé à ce nouveau crime par sa sœur, Electre. Les Erinyes réclament
sa mort. Ce cycle infernal prendra fin avec l’institution de la justice, du
vote et du verdict populaire, la démocratie est née.
LE
TEXTE SONNE À L’ANTIQUE
David
Géry (à qui l’on doit un fort beau Bartleby d’après Herman Melville, en 2004) a
intégré sa vision de L’Orestie à notre monde contemporain, à la difficulté de
conserver une véritable démocratie. Au-delà de la tragédie des Atrides, le
spectacle se fait politique, au sens le plus noble qui soit, « ce qui
régit la cité ».
Le
début ( Agamemnon) est un peu confus, on a du mal à saisir qui est qui et qui
fait quoi. Puis l’arrivée du « royal destructeur de Troie », salué
par son peuple en liesse, est traitée comme le triomphe de la société de
communication, célébrant le général-président star, tandis que Clytemnestre
fait figure d’invitée d’honneur des plateaux de télévision. Langue de bois,
propos fallacieux, sourires glacés.
Le
ton est lancé, le rythme est assuré par une bande de jeunes comédiens
enthousiastes (étonnante Véronique Sacri en Cassandre) face à l’expérience
d’acteurs confirmés (Maurice Bénichou, Caroline Chaniolleau, Yann Collette).
La
scénographie de Jean Haas fait déplacer les personnages devant deux lourdes
portes simulant la pierre qui s’ouvrent, se ferment, dissimulent le palais, la
ville ou ses faubourgs.
Peu à peu les personnages en costumes
contemporains se fondent dans une optique plus traditionnelle, le texte
français (belle et juste traduction de Daniel Loayza) sonne à l’antique et fait
même l’objet d’un exercice de traduction par les jeunes gens du chœur, qui
déchiffrent le grec ancien. Quand, à la fin de la pièce, Athéna décide de
« laisser les citoyens de l’Attique juger du sang versé », les jurés,
après avoir lancé attaques et invectives, descendent depuis la salle,
solennels, déposer leurs bulletins et, face au verdict et à la remise en
liberté d’Oreste, les Euménides, garçons en costumes noirs de mafieux,
abandonnent leur omerta contre celui-ci et suivent à regret Athéna. Le peuple
est vainqueur.
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 29 mars 2008