Brève n° 82
Débat sur les racines grecques de la
culture européenne
Sylvain Gouguenheim : professeur d’histoire médiévale à
l’ENS-LSH
Quand l’ENS-LSH déclenche une belle
polémique
4 avril 2008 : « Et si l’Europe ne devait pas ses
savoirs à l’islam ? », Roger-Pol Droit, Le Monde des Livres
17 avril 2008 : Les tribulations des auteurs grecs dans le
monde chrétien », Stéphane Boiron, Le Figaro
Fin avril 2008 : Appel collectif d’histoirien(-ne)s :
Prendre de vieilles lunes pour des étoiles nouvelles, ou comment refaire aujourd’hui
l’histoire des savoirs
25 avril 2008 : « Sylvain Gouguenheim : On me
prête des intentions que je n’ai pas », propos recueillis par Jean
Birnbaum, Le Monde des Livres
30 avril 2008 : « Oui, l’Occident chrétien est
redevable au monde islamique », Un collectif international de 56
chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Age
5 mai 2008 : « L’Europe est-elle
chrétienne ? », Patricia Briel, Le Temps
5 mai 2008 : « Un héritage culturel ne réclame ni don
préalable ni testateur », Alain de Libera, Le Temps
Daté « mai-juin 2008 » mais paru début mai 2008 :
« Landerneau terre d’Islam », Alain de Libera, Revue internationale
des livres et des idées, n°5
Début mai 2008 : « Max Lejbowicz, Saint-Michel
historiographe. Quelques aperçus sur le livre de Sylvain Gouguenheim »,
Cahiers de Recherches Médiévales, numéro 16, 2009
4
avril 2008 : « Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à
l’islam ? », Roger-Pol Droit, Le Monde des Livres
Etonnante
rectification des préjugés de l’heure, ce travail de Sylvain Gouguenheim va
susciter débats et polémiques. Son thème : la filiation culturelle monde
occidental-monde musulman. Sur ce sujet, les enjeux idéologiques et politiques
pèsent lourd. Or cet universitaire des plus sérieux, professeur d’histoire
médiévale à l’Ecole normale supérieure de Lyon, met à mal une série de
convictions devenues dominantes. Ces dernières décennies, en suivant notamment
Alain de Libera ou Mohammed Arkoun, Edward Saïd ou le Conseil de l’Europe, on
aurait fait fausse route sur la part de l’islam dans l’histoire de la culture
européenne.
Que
croyons-nous donc ? En résumé, ceci : le savoir grec antique -
philosophie, médecine, mathématique, astronomie -, après avoir tout à fait
disparu d’Europe, a trouvé refuge dans le monde musulman, qui l’a traduit en
arabe, l’a accueilli et prolongé, avant de le transmettre finalement à
l’Occident, permettant ainsi sa renaissance, puis l’expansion soudaine de la
culture européenne. Selon Sylvain Gouguenheim, cette vulgate n’est qu’un tissu
d’erreurs, de vérités déformées, de données partielles ou partiales. Il désire
en corriger, point par point, les aspects inexacts ou excessifs.
AGES
SOMBRES
Y
a-t-il vraiment eu rupture totale entre l’héritage grec antique et l’Europe
chrétienne du haut Moyen Age ? Après l’effondrement définitif de l’Empire
romain, les rares manuscrits d’Aristote ou de Galien subsistant dans des
monastères n’avaient-ils réellement plus aucun lecteur capable de les
déchiffrer ? Non, réplique Sylvain Gouguenheim. Même devenus ténus et
rares, les liens avec Byzance ne furent jamais rompus : des manuscrits
grecs circulaient, avec des hommes en mesure de les lire. Durant les prétendus
“âges sombres”, ces connaisseurs du grec n’ont jamais fait défaut, répartis
dans quelques foyers qu’on a tort d’ignorer, notamment en Sicile et à Rome. On
ne souligne pas que de 685 à 752 règne une succession de papes… d’origine
grecque et syriaque ! On ignore, ou on oublie qu’en 758-763, Pépin le Bref
se fait envoyer par le pape Paul Ier des textes grecs, notamment la Rhétorique
d’Aristote. Cet intérêt médiéval pour les sources grecques trouvait sa source
dans la culture chrétienne elle-même. Les Evangiles furent rédigés en grec,
comme les épîtres de Paul. Nombre de Pères de l’Eglise, formés à la
philosophie, citent Platon et bien d’autres auteurs païens, dont ils ont sauvé
des pans entiers. L’Europe est donc demeurée constamment consciente de sa
filiation à l’égard de la Grèce antique, et se montra continûment désireuse
d’en retrouver les textes. Ce qui explique, des Carolingiens jusqu’au XIIIe
siècle, la succession des “renaissances” liées à des découvertes partielles.
La
culture grecque antique fut-elle pleinement accueillie par l’islam ?
Sylvain Gouguenheim souligne les fortes limites que la réalité historique
impose à cette conviction devenue courante. Car ce ne furent pas les musulmans
qui firent l’essentiel du travail de traduction des textes grecs en arabe. On
l’oublie superbement : même ces grands admirateurs des Grecs que furent
Al-Fârâbî, Avicenne et Averroès ne lisaient pas un mot des textes originaux,
mais seulement les traductions en arabe faites par les Araméens…
chrétiens !
Parmi
ces chrétiens dits syriaques, qui maîtrisaient le grec et l’arabe, Hunayn ibn
Ishaq (809-873), surnommé “prince des traducteurs”, forgea l’essentiel du
vocabulaire médical et scientifique arabe en transposant plus de deux cents
ouvrages - notamment Galien, Hippocrate, Platon. Arabophone, il n’était en rien
musulman, comme d’ailleurs pratiquement tous les premiers traducteurs du grec
en arabe. Parce que nous confondons trop souvent “Arabe” et “musulman”, une
vision déformée de l’histoire nous fait gommer le rôle décisif des Arabes
chrétiens dans le passage des œuvres de l’Antiquité grecque d’abord en
syriaque, puis dans la langue du Coran.
Une
fois effectué ce transfert - difficile, car grec et arabe sont des langues aux
génies très dissemblables -, on aurait tort de croire que l’accueil fait
aux Grecs fut unanime, enthousiaste, capable de bouleverser culture et société
islamiques. Sylvain Gouguenheim montre combien la réception de la pensée
grecque fut au contraire sélective, limitée, sans impact majeur, en fin de
compte, sur les réalités de l’islam, qui sont demeurées indissociablement
religieuses, juridiques et politiques. Même en disposant des œuvres
philosophiques des Grecs, même en forgeant le terme de “falsafa” pour désigner
une forme d’esprit philosophique apparenté, l’islam ne s’est pas véritablement
hellénisé. La raison n’y fut jamais explicitement placée au-dessus de la
révélation, ni la politique dissociée de la révélation, ni l’investigation
scientifique radicalement indépendante.
Il
conviendrait même, si l’on suit ce livre, de réviser plus encore nos jugements.
Au lieu de croire le savoir philosophique européen tout entier dépendant des
intermédiaires arabes, on devrait se rappeler le rôle capital des traducteurs
du Mont-Saint-Michel. Ils ont fait passer presque tout Aristote directement du
grec au latin, plusieurs décennies avant qu’à Tolède on ne traduise les mêmes
œuvres en partant de leur version arabe. Au lieu de rêver que le monde
islamique du Moyen Age, ouvert et généreux, vint offrir à l’Europe languissante
et sombre les moyens de son expansion, il faudrait encore se souvenir que
l’Occident n’a pas reçu ces savoirs en cadeau. Il est allé les chercher, parce
qu’ils complétaient les textes qu’il détenait déjà. Et lui seul en a fait
l’usage scientifique et politique que l’on connaît.
Somme
toute, contrairement à ce qu’on répète crescendo depuis les années 1960, la
culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas
grand-chose à l’islam. En tout cas rien d’essentiel. Précis, argumenté, ce
livre qui remet l’histoire à l’heure est aussi fort courageux.
17
avril 2008 : "Les tribulations des auteurs grecs dans le monde
chrétien", Stéphane Boiron, Le Figaro
Contredisant
la thèse d’un « islam des Lumières », Sylvain Gouguenheim montre que
le savoir grec antique n’a jamais disparu d’Europe et que les Arabes qui
traduisirent ces textes n’étaient pas des musulmans.
On
se souvient de la récente polémique qui a entouré la conférence tenue à
l’université de Ratisbonne, le 12 septembre 2006, par Benoît XVI, alors accusé
d’avoir lié islam et violence. Loin de s’adresser au monde musulman, il
s’agissait pour le Saint-Père d’aborder les rapports entre foi et raison et de
dénoncer le « programme de déshellénisation » de l’Occident chrétien.
Éclairant
fort à propos ce débat, l’historien Sylvain Gouguenheim montre que la
qualification d’« âges sombres » ne convient pas à la période
médiévale. En effet, l’Europe du haut Moyen Âge ne s’est jamais coupée du
savoir grec, dont quelques manuscrits restaient conservés dans les monastères.
Des noyaux de peuplement hellénophone s’étaient maintenus en Sicile et en
Italie du Sud, Salerne ayant ainsi produit une école de médecine indépendante
du monde arabo-musulman. Enfin, durant les premiers siècles du Moyen Âge, il
existait aussi une « authentique diaspora chrétienne orientale ».
Car, nous dit l’auteur, si l’islam a transmis le savoir antique à l’Occident,
c’est d’abord « en provoquant l’exil de ceux qui refusaient sa
domination ». Assez naturellement, les élites purent se tourner vers la
culture grecque, favorisant ces mouvements de « renaissance » qui
animèrent l’Europe, de Charlemagne à Abélard. D’ailleurs, avant même que les
lettrés ne vinssent chercher en Espagne ou en Italie les versions arabes des
textes grecs, d’importants foyers de traduction de manuscrits originaux
existaient en Occident. À cet égard, M. Gouguenheim souligne le rôle capital
joué par l’abbaye du Mont-Saint-Michel où un clerc italien qui aurait vécu à
Constantinople, Jacques de Venise, fut le premier traducteur européen
d’Aristote au XIIe siècle. Ce monastère serait donc bien « le chaînon
manquant dans l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde
grec au monde latin ».
Une
hellénisation restée superficielle
Le
savoir grec n’avait pas davantage déserté le monde oriental. Byzance n’a jamais
oublié l’enseignement de Platon et d’Aristote et continua à produire de grands
savants. Il faut ici saluer l’influence essentielle des chrétiens syriaques,
car « jamais les Arabes musulmans n’apprirent le grec, même al-Farabi,
Avicenne ou Averroès l’ignoraient ».
L’écriture
arabe coufique fut forgée par des missionnaires chrétiens qui donnèrent aussi
aux Arabes musulmans les traductions des œuvres grecques. De ce point de vue,
l’arrivée au pouvoir des Abbassides, en 751, ne constitua pas une rupture
fondamentale. Contredisant la thèse d’un « islam des Lumières », avide
de science et de philosophie, l’auteur montre les limites d’une -hellénisation
toujours restée superficielle. Il est vrai que la Grèce représentait un monde
radicalement étranger à l’islam qui « soumit le savoir grec à un sérieux
examen de passage où seul passait à travers le crible ce qui ne comportait
aucun danger pour la religion ». Or ce crible fut très sélectif. La
littérature, la tragédie et la philosophique grecques n’ont guère été reçues
par la culture musulmane. Quant à l’influence d’Aristote, elle s’exerça
essentiellement dans le domaine de la logique et des sciences de la nature.
Rappelons que ni La Métaphysique, ni La Politique ne furent traduites en arabe.
Parler
donc à son propos d’hellénisation « dénature la civilisation musulmane en
lui imposant par ethnocentrisme ? une sorte d’occidentalisation qui ne
correspond pas à la réalité, sauf sous bénéfice d’inventaire.
Fin
avril 2008 : Appel collectif d’histoirien(-ne)s : Prendre de vieilles
lunes pour des étoiles nouvelles, ou comment refaire aujourd’hui l’histoire des
savoirs
En
France et à l’étranger, bon nombre de lecteurs du Monde ont lu avec quelque
étonnement, dans Le Monde des livres du 4 avril 2008, l’article intitulé
« Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’islam ? »,
rendant compte de l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au
Mont-Saint-Michel : les racines grecques de l’Europe chrétienne (Seuil,
L’Univers historique, 2008).
Il
suffira, pour donner une idée de cet ouvrage, de mentionner qu’à en croire Le
Monde son auteur, spécialiste des chevaliers teutoniques, pense réécrire
l’histoire culturelle médiévale en s’appuyant sur la « découverte »
de Jacques de Venise et de ses traductions d’Aristote. Celle-ci
révolutionnerait non seulement notre connaissance de la réception de l’aristotélisme
en Europe médiévale, mais jusqu’à notre compréhension générale de l’histoire
des savoirs.
Rappelons
tout d’abord que — depuis les travaux fondateurs de Haskins (1924), poursuivis
par A. Birkenmajer (1932), L. Minio-Paluello, M. T. d’Alverny… — l’existence
et le rôle des traductions d’Aristote (et pas seulement d’Aristote) faites
directement sur le grec au XIIe siècle (et pas seulement par Jacques de Venise)
sont bien connus ; L. Minio-Paluello, le premier, a attiré l’attention du
monde savant sur l’importance du rôle de Jacques de Venise* (dont rien ne dit
du reste qu’il ait jamais mis le pied au Mont-Saint-Michel). Les textes de ces
traductions latines d’Aristote (y compris celles de Jacques de Venise) forment
une part de l’imposant Aristoteles Latinus en cours d’édition à Louvain et dont
les premiers tomes ont paru en 1957. Des textes peuvent cependant rester lettre
morte, et nul n’ignore que la connaissance de la philosophie aristotélicienne a
nécessité, pour les penseurs scolastiques, non seulement de disposer des écrits
d’Aristote traduits en latin, mais également de clés pour les comprendre. Or
ces clés, ce sont bel et bien les milliers de pages d’Averroès, d’Avicenne et
d’Algazel traduites en latin qui les ont fournies. Le développement d’un aristotélisme
de haut niveau dans l’Europe latine va de pair, au XIIIe siècle, avec la
diffusion des commentaires d’Averroès à la Faculté des Arts de Paris. Quant à
l’influence d’Averroès et d’Avicenne sur les systèmes de Saint Thomas d’Aquin
et de Duns Scot, pour ne citer que deux des plus grands, elle n’est plus à
démontrer.
En
second lieu, réduire “l’archéologie du savoir” à la réception de
l’aristotélisme témoigne d’une vision si limitée qu’elle en devient erronée.
Quelle n’est donc pas notre surprise de voir l’article du Monde des Livres,
prenant prétexte de cette « découverte » de Jacques de Venise par S.
Gouguenheim, procéder à une mise en question radicale des travaux des cinquante
dernières années en histoire des sciences et de la philosophie – sont citées,
en compagnie de la philosophie, « médecine, mathématique,
astronomie ». Il n’y aurait là que l’expression d’une
« vulgate », qualifiée de « tissu d’erreurs, de vérités
déformées, de données partielles ou partiales ». Le fruit de ces travaux,
manifestement ignorés, serait le reflet de « préjugés de l’heure »,
de « convictions dominantes » et de « croyances » qu’il
s’agirait de « rectifier » – étrange procédé que de mettre ainsi sur
le même plan, faits, textes, croyances, opinions, préjugés !
Il
n’est aucun philosophe ou historien des sciences sérieux pour affirmer que
« l’Europe doit ses savoirs à l’islam » ; la science en tant que
telle se développe selon ses voies propres et ne doit pas plus à l’islam qu’au
christianisme, au judaïsme ou à toute autre religion. En revanche, l’idée que
l’Europe ne doit rien au monde arabe (ou arabo-islamique, ou islamique, comme
on voudra bien l’appeler) et que la science moderne est héritière directe et
unique de la science et de la philosophie grecques, n’est pas nouvelle. Elle
constitue même le lieu commun de la majorité des penseurs du XIXe siècle et du
début du XXe siècle, tant philosophes qu’historiens des sciences, dont le
compte rendu du Monde reprend tous les poncifs, faisant fi des progrès de la
recherche.
Les
modalités de la circulation des savoirs autour de la Méditerranée et la part
qu’y ont prise les chrétiens (d’Orient ou d’Occident), les musulmans, les
juifs, les zoroastriens, les sabéens…, en Sicile, en Italie du sud, en
Andalousie, à Alep, au Caire, à Lunel, voire au Mont-Saint-Michel…, sont
complexes et ne se laissent pas réduire à une opposition simpliste entre Islam
et Chrétienté. Elles ont donné, et donnent encore, lieu à bon nombre d’études
documentées qu’un professionnel du sujet ne peut ignorer.
Il
est difficile de voir dans l’ouvrage de S. Gouguenheim, tel que Le Monde en
rapporte les thèses de façon complaisante – lui assurant ainsi une diffusion
inespérée –, autre chose que le propos d’un idéologue. C’est cependant moins
dans le domaine de l’histoire de la philosophie ou des sciences, que sur
l’information du grand public cultivé, que l’on en redoutera les effets. Nous
sommes là bien loin de l’histoire des savoirs.
*
On pourra en particulier se rapporter à : L. Minio-Paluello,
« Iacobus Veneticus grecus, Canonist and translator of Aristotle » ,
Traditio8, 1952, p. 265-305, L. Minio-Paluello, « Aristotele dal Mondo
arabo a quello latino », Settimana di studio del Centro italiano di studi
sull’alto medioevo, XII, L’Occidente e l’Islam nell’alto Medioevo, Spoleto, 2-8
aprile 1964, Spoleto 1965, p. 603-637.
Signataires :
Makram Abbès (Maître de conférences, École Normale Supérieure (Lyon),
Département de lettres et sciences humaines) Philippe Abgrall (Chargé de
recherche, Centre d’épistémologie et d’ergologie comparatives, CNRS UMR 6059)
Hélène Bellosta (Directeur de recherche honoraire, Centre d’histoire des
sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris
VII-EPHE) Hourya Benis Sinaceur (Directrice de recherche émérite, Institut
d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, CNRS-Université
Paris I-École Normale Supérieure, Membre du conseil d’administration du Collège
international de philosophie, Membre correspondant de l’Académie internationale
d’histoire des sciences) Bernard Besnier (Maître de conférences de philosophie
ancienne, École Normale Supérieure (Lyon), Département de lettres et sciences
humaines) Thierry Bianquis (Professeur émérite d’histoire et civilisation
islamiques, Université Louis Lumière Lyon II, CNRS UMR 5648 CIHAM) Joël Biard
(Professeur des universités, Université François Rabelais, Tours, directeur
adjoint du Centre d’études supérieures de la Renaissance, CNRS GDR 2522) Michel
Blay (Directeur de recherche, CNRS) Jean Celeyrette (Professeur émérite,
Université de Lille III, UMR savoirs, textes, langage) Joël Chandelier
(archiviste paléographe, membre de l’Ecole française de Rome) Karine Chemla
(Directrice de recherche, CNRS, Directrice du laboratoire REHSEIS (Recherches
épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions
scientifiques), CNRS-Université Paris Diderot) Pascal Crozet (Chargé de
recherche, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et
médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE) Michel Crubellier (Professeur de
philosophie ancienne, Université Lille III) Catherine Dalimier (Professeur de
première supérieure, traductrice d’Aristote) Abdelali Elamrani Jamal (Directeur
de recherche, CNRS, Centre Jean Pépin) Gad Freudenthal (Directeur de recherche,
Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales,
CNRS-Université Paris VII-EPHE) Jean-Claude Garcin (Professeur émérite
d’histoire du monde musulman médiéval, Université Aix-Marseille I) Patrick
Gautier-Dalché (Directeur de recherche, CNRS, Directeur d’étude EPHE) Denis
Gril (Professeur à l’Université de Provence (langue arabe et islamologie))
Ahmad Hasnaoui (Chargé de recherche, Centre d’histoire des sciences et des
philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE)
Maurice-Ruben Hayoun (Philosophe, écrivain) Roland Hissette (Chercheur, Thomas
Institute, Cologne) Philippe Hoffmann (Directeur du Laboratoire d’études sur
les monothéismes, CNRS UMR 8584) Danielle Jacquart (Directeur d’études, École
pratique des hautes études) Mehrnaz Katouzian-Safadi (Chargé de recherche,
Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales,
CNRS-Université Paris VII-EPHE) Tony Levy (Chargé de recherche, Centre
d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales,
CNRS-Université Paris VII-EPHE) Dominique Mallet (Professeur, Université
Bordeaux III) Régis Morelon (Directeur de recherche émérite, Centre d’histoire
des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris
VII-EPHE, dominicain) Barbara Obrist (Chargé de recherche, Centre d’histoire
des sciences et des philosophies arabes et médiévales, CNRS-Université Paris
VII-EPHE) Marco Panza (Directeur de recherche, laboratoire REHSEIS (Recherches
épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions
scientifiques), CNRS-Université Paris Diderot) Michel Paty (Directeur de
recherche émérite, CNRS) Pierre Pellegrin (Directeur de recherche, CNRS,
Directeur du Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et médiévales,
CNRS-Université Paris VII-EPHE) Emilio Platti (Professeur, Université de
Leuven, dominicain) Marwan Rashed (Professeur d’Université, Département des
sciences de l’Antiquité, École Normale Supérieure) Roshdi Rashed (Directeur de
recherche émérite, Centre d’histoire des sciences et des philosophies arabes et
médiévales, CNRS-Université Paris VII-EPHE, Professeur honoraire, Université de
Tokyo) Irène Rosier-Catach (Directeur de recherches au CNRS, Directeur d’Etudes
à l’EPHE) Gérard Simon (Professeur émérite, Université de Lille III, UMR
savoirs, textes, langage) Ivahn Smadja (Maître de conférences, Université paris
VII) Pierre Thillet (Professeur émérite, Université Paris I Sorbonne) Gudrun
Vuillemin-Diem (Editrice et membre du Comité éditorial de l’Aristoteles Latinus
(Leuven)
25
avril 2008 : « Sylvain Gouguenheim : On me prête des intentions
que je n’ai pas », propos recueillis par Jean Birnbaum, Le Monde des
Livres
Sylvain
Gouguenheim, comment réagissez-vous à la polémique suscitée par votre livre ?
Je
suis bouleversé par la virulence et la nature de ces attaques. On me prête des
intentions que je n’ai pas. Pour écrire ce livre, j’ai utilisé des dizaines
d’articles de spécialistes très divers. Mon enquête porte sur un point
précis : les différents canaux par lesquels le savoir grec a été conservé
et retrouvé par les gens du Moyen Age. Je ne nie pas du tout l’existence de la
transmission arabe, mais je souligne à côté d’elle l’existence d’une filière
directe de traductions du grec au latin, dont le Mont-Saint-Michel a été le
centre au début du XIIe siècle, grâce à Jacques de Venise. Je ne nie pas non
plus la reprise dans le monde arabo-musulman de nombreux éléments de la culture
ou du savoir grecs. J’explique simplement qu’il n’y a sans doute pas eu
d’influence d’Aristote et de sa pensée dans les secteurs précis de la politique
et du droit ; du moins du VIIIe au XIIe siècles. Ce n’est en aucun cas une
critique de la civilisation arabo-musulmane. Du reste, je ne crois pas à la
thèse du choc des civilisations : je dis seulement - ce qui n’a rien à
voir - qu’au Moyen Age, les influences réciproques étaient difficiles pour de
multiples raisons, et que nous n’avons pas pour cette époque de traces de
dialogues telles qu’il en existe de nos jours.
Certains
s’étonnent de vous voir citer et remercier René Marchand, auteur de pamphlets
contre l’islam.
M. Marchand
fait partie des gens qui ont attiré mon attention sur les problèmes de
traduction entre l’arabe et le grec et sur les structures propres à la langue
arabe. Voilà pourquoi je le remercie, parmi d’autres. Je l’ai cité en
bibliographie car je me dois d’indiquer tous les articles et tous les livres
que j’ai consultés. Cela ne fait pas de chaque volume cité un ouvrage de
référence. Je m’étonne qu’on s’attarde sur ce point, alors que j’utilise de
nombreux livres remarquables, dont ceux de Dominique Urvoy, de Geneviève
Balty-Guesdon, ou d’autres spécialistes.
Comment
expliquer que plusieurs mois avant sa parution, des extraits de votre livre se
soient retrouvés sur un site d’extrême droite ?
J’ai
donné depuis cinq ans - époque où j’ai "découvert" Jacques de Venise
- des extraits de mon livre à de multiples personnes. Je suis totalement
ignorant de ce que les unes et les autres ont pu ensuite en faire. Je suis choqué
qu’on fasse de moi un homme d’extrême droite alors que j’appartiens à une
famille de résistants : depuis l’enfance, je n’ai pas cessé d’être fidèle
à leurs valeurs.
30
avril 2008 : Oui, l’Occident chrétien est redevable au monde
islamique ; un collectif international de 56 chercheurs en histoire et
philosophie du Moyen Age
Historiens
et philosophes, nous avons lu avec stupéfaction l’ouvrage de Sylvain
Gouguenheim intitulé Aristote au Mont- Saint-Michel. Les racines grecques de
l’Europe chrétienne (Seuil) qui prétend démontrer que l’Europe chrétienne
médiévale se serait approprié directement l’héritage grec au point de dire
qu’elle « aurait suivi un cheminement identique même en l’absence de tout
lien avec le monde islamique ». L’ouvrage va ainsi à contre-courant de la
recherche contemporaine, qui s’est efforcée de parler de translatio studiorum
et de mettre en avant la diversité des traductions, des échanges, des pensées,
des disciplines, des langues. S’appuyant sur de prétendues découvertes, connues
depuis longtemps, ou fausses, l’auteur propose une relecture fallacieuse des
liens entre l’Occident chrétien et le monde islamique, relayée par la grande
presse mais aussi par certains sites Internet extrémistes. Dès la première
page, Sylvain Gouguenheim affirme que son étude porte sur la période s’étalant
du VIe au XIIe siècle, ce qui écarte celle, essentielle pour l’étude de son
sujet, des XIIIe et XIVe siècles. Il est alors moins difficile de prétendre que
l’histoire intellectuelle et scientifique de l’Occident chrétien ne doit rien
au monde islamique !
Il
serait fastidieux de relever les erreurs de contenu ou de méthode que
l’apparence érudite du livre pourrait masquer : Jean de Salisbury n’a pas
fait œuvre de commentateur ; ce n’est pas via les traductions syriaques
que ce qu’on a appelé la Logica nova (une partie de l’Organon d’Aristote) a été
reçue en Occident ; enfin, et surtout, rien ne permet de penser que le
célèbre Jacques de Venise, traducteur et commentateur d’importance, comme
chacun le sait et l’enseigne, ait jamais mis les pieds au
Mont-Saint-Michel ! Quant à la méthode, Sylvain Gouguenheim confond la
présence d’un manuscrit en un lieu donné avec sa lecture, sa diffusion, sa
transmission, ses usages, son commentaire, ou extrapole la connaissance du grec
au haut Moyen Age à partir de quelques exemples isolés. Tout cela conduit à un
exposé de seconde main qui ignore toute recherche nouvelle - notons que le
titre même de son livre est emprunté à un article de Coloman Viola… paru en
1967 ! Certains éléments du livre sont certes incontestables, mais ce qui
est présenté comme une révolution historiographique relève d’une parfaite
banalité.
On
sait depuis longtemps que les chrétiens arabes, comme Hunayn Ibn Ishaq,
jouèrent un rôle décisif dans les traductions du grec au IXe siècle. De plus,
contrairement aux affirmations de l’auteur, le fameux Jacques de Venise figure
aussi bien dans les manuels d’histoire culturelle, comme ceux de Jacques Verger
ou de Jean-Philippe Genet, que dans ceux d’histoire de la philosophie, tel
celui d’Alain de Libera, la Philosophie médiévale, où l’on lit :
« L’Aristote gréco-latin est acquis en deux étapes. Il y a d’abord celui
de la période tardo-antique et du haut Moyen Age, l’Aristote de Boèce, puis, au
XIIe siècle, les nouvelles traductions gréco-latines de Jacques de
Venise. » La rhétorique du livre s’appuie sur une série de raisonnements
fallacieux. Des contradictions notamment : Charlemagne est crédité d’une
correction des évangiles grecs, avant que l’auteur ne rappelle plus loin qu’il
sait à peine lire ; la science moderne naît tantôt au XVIe siècle, tantôt
au XIIIe siècle. Le procédé du « deux poids, deux mesures » est
récurrent : il reproche à Avicenne et Averroès de n’avoir pas su le grec,
mais pas à Abélard ou à Thomas d’Aquin, mentionne les réactions
antiscientifiques et antiphilosophiques des musulmans, alors que pour les
chrétiens, toute pensée serait issue d’une foi appuyée sur la raison inspirée
par Anselme - les interdictions d’Aristote, voulues par les autorités ecclésiastiques,
n’ont-elles pas existé aux débuts de l’Université à Paris ? La critique
des sources est dissymétrique : les chroniqueurs occidentaux sont pris au
pied de la lettre, tandis que les sources arabes sont l’objet d’une
hypercritique. L’auteur enfin imagine des thèses qu’aucun chercheur sérieux n’a
jamais soutenues (par exemple, « que les musulmans aient volontairement
transmis ce savoir antique aux chrétiens est une pure vue de l’esprit »),
qu’il lui est facile de réfuter pour faire valoir l’importance de sa
« révision ».
Au
final, des pans entiers de recherches et des sources bien connues sont effacés,
afin de permettre à l’auteur de déboucher sur des thèses qui relèvent de la
pure idéologie. Le christianisme serait le moteur de l’appropriation du savoir
grec, ce qui reposerait sur le fait que les Evangiles ont été écrits en grec -
passant sous silence le rôle de la Rome païenne. L’Europe aurait ensuite réussi
à récupérer le savoir grec « par ses propres moyens ». Par cette
formule, le monde byzantin et les arabes chrétiens sont annexés à l’Europe,
trahissant le présupposé identitaire de l’ouvrage : pour l’auteur,
l’Europe éternelle s’identifie à la chrétienté, le « nous » du livre,
même quand ses représentants vivent à Bagdad ou Damas. La fin du livre oppose
des « civilisations » définies par la religion et la langue et ne
pouvant que s’exclure mutuellement.
L’ouvrage
débouche alors sur un racisme culturel qui affirme que « dans une langue
sémitique, le sens jaillit de l’intérieur des mots, de leurs assonances et de
leurs résonances, alors que dans une langue indo-européenne, il viendra d’abord
de l’agencement de la phrase, de sa structure grammaticale. […] Par sa
structure, la langue arabe se prête en effet magnifiquement à la poésie […] Les
différences entre les deux systèmes linguistiques sont telles qu’elles défient
presque toute traduction ». On n’est alors plus surpris de découvrir que
Sylvain Gouguenheim dit s’inspirer de la méthode de René Marchand (page 134),
auteur, proche de l’extreme droite, de Mahomet : contre-enquête
(L’Echiquier, 2006, cité dans la bibliographie) et de La France en danger
d’Islam : entre Jihad et Reconquista (L’Âge d’Homme, 2002), qui figure en
bonne place dans les remerciements. Il confirme ainsi que sa démarche n’a rien
de scientifique : elle relève d’un projet idéologique aux connotations
politiques inacceptables.
La
liste des signataires Cyrille Aillet, Maître de conférences (MCF), histoire de
l’islam médiéval, Un. de Lyon II Etienne Anheim, MCF, histoire médiévale, Un.
de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines Sylvain Auroux, Directeur de recherches
au CNRS Louis-Jacques Bataillon (Dominicain), Commission Léonine pour l’édition
critique des œuvres de Thomas d’Aquin, comité international pour l’édition de
l’Aristote latin Thomas Bénatouïl, MCF, histoire de la philosophie antique, Un.
de Nancy II Luca Bianchi, Centro per lo studio del pensiero filosofico del
Cinquecento e del Seicento, CNR, Milano Joël Biard, Professeur, philosophie
médiévale, Un. de Tours Patrick Boucheron, MCF, histoire médiévale, Un. de
Paris I, IUF Jean-Patrice Boudet, Professeur, histoire médiévale, Un. d’Orléans
Alain Boureau, Directeur d’études, histoire médiévale, EHESS Jean-Baptiste
Brenet, MCF, Philosophie médiévale, Un. de Paris X Charles Burnett, Professor,
history of arabic/islamic influence in Europe, Warburg Institute, London
Philippe Büttgen, Chargé de recherches, CNRS, Laboratoire d’études sur les
monothéismes, Villejuif Irène Caiazzo, Chargée de recherches, CNRS, Laboratoire
d’études sur les monothéismes, rédactrice en chef des Archives d’histoire
doctrinale et littéraire du Moyen Âge Barbara Cassin, Directrice de recherches
au CNRS, dir. du centre Léon Robin Laurent Cesalli, Assistant scientifique, Un.
de Freiburg-im-Breisgau Joël Chandelier, Ecole française de Rome (Moyen Âge)
Riccardo Chiaradonna, Professore associato, filosofia antica, Università di
Roma III Jacques Chiffoleau, Directeur d’études, histoire médiévale, EHESS
Jacques Dalarun, Directeur de recherches, CNRS, IRHT Isabelle Draelants,
Chargée de recherches, CNRS, UMR 7002, Un. de Nancy II Anne-Marie Eddé,
Directrice de recherches, CNRS, directrice de l’Institut de Recherches et
d’Histoire des Textes (IRHT) Sten Ebbesen, Institut du Moyen Age Grec et Latin,
Copenhague Luc Ferrier, Ingénieur d’études, histoire médiévale, CNRS, CRH
(EHESS) Kurt Flasch, Professeur émérite à l’Université de Bochum Christian
Förstel, Conservateur en chef de la section des manuscrits grecs, Bibliothèque
Nationale de France Dag N. Hasse, Institut für Philosophie,
Lichtenberg-Professur der VolkswagenStiftung Isabelle Heullant-Donat,
Professeur, histoire médiévale, Un. de Reims Dominique Iogna Prat, Directeur de
recherches, histoire médiévale, CNRS, LAMOP Charles Genequand, Professeur
ordinaire, philosophie arabe, Un. de Genève Jean-Philippe Genet, Professeur,
histoire médiévale, Un. de Paris I Carlo Ginzburg, Professore, Scuola Normale
Superiore, Pisa Christophe Grellard, MCF, Un. de Paris I Benoît Grévin, Chargé
de recherches, CNRS, LAMOP. Ruedi Imbach, Professeur, philosophie médiévale,
Un. de Paris IV Catherine König-Pralong, Maître assistante, philosophie
médiévale, Un. de Lausanne Djamel Kouloughli, Directeur de Recherches au CNRS
(UMR 7597) Max Lejbowicz, Ingénieur d’études honoraire, CNRS, UMR 81 63, Univ.
de Lille III Alain de Libera, Professeur ordinaire, Un. de Genève, Directeur
d’études à l’EPHE (Ve section) John Marenbon, Professor, History of Medieval
Philosophy, Trinity College, Cambridge Christopher Martin, Professor,
Philosophy department, Auckland University, Visiting Fellow All Souls College,
Oxford Annliese Nef, MCF, histoire de l’islam médiéval, Un. de Paris IV Adriano
Oliva (Dominicain), Chargé de recherches, CNRS, IRHT, Commission Léonine pour
l’édition critique des œuvres de Thomas d’Aquin, comité international pour
l’édition de l’Aristote latin Christophe Picard, Professeur, histoire de
l’islam médiéval, Un. de Paris I Sylvain Piron, MCF, histoire médiévale, EHESS
David Piché, Professeur adjoint, Département de Philosophie, Univ. de Montréal
Pasquale Porro, Professore ordinario di Storia della filosofia medievale,
Universita di Bari Marwan Rashed, Professeur, philosophie ancienne et
médiévale, ENS Paris Aurélien Robert, Membre de l’Ecole française de Rome
(Moyen Âge) Andrea Robiglio, Phil. Seminar, Univ. Freiburg-im-Breisgau ;
Irène Rosier-Catach, Directrice de recherches au CNRS (UMR 7597), Directrice
d’études à l’EPHE (Ve section) Martin Rueff, MCF, Théorie littéraire et
esthétique, Un. de Paris VII Jacob Schmutz, MCF, philosophie médiévale, Un. de
Paris IV Valérie Theis, MCF, histoire médiévale, Un. de Marne-la-Vallée Mathieu
Tillier, MCF, histoire de l’islam médiéval, Un. d’Aix-Marseille Luisa Valente,
Ricercatrice, Filosofia medievale, Università di Roma – La Sapienza Dominique
Valérian, MCF, histoire de l’islam médiéval, Un. de Paris I Eric Vallet, MCF,
histoire de l’islam médiéval, Un. de Paris I.
Lundi
5 mai 2008 : L’Europe est-elle chrétienne ? Patricia Briel, Le Temps
Roger
Pol-Droit, chroniqueur réputé du Monde des Livres, ne croyait sans doute pas si
bien dire lorsqu’il prophétisa, à propos d’un essai d’histoire dont il rendit
compte positivement le 3 avril dernier, qu’il allait « susciter débats et
polémiques ». Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe
chrétienne, du médiéviste Sylvain Gouguenheim, professeur à l’Ecole normale
supérieure de Lyon, a soulevé une tempête de protestations dans les milieux
intellectuels français, qui répliquent à coups de tribunes dans les quotidiens
et les revues de l’Hexagone. En revanche, l’essai fait les délices de certains
sites d’extrême droite. Sylvain Gouguenheim, qui a pourtant acquis auprès de
ses pairs une solide réputation de sérieux, est soupçonné d’islamophobie. Son
livre, salué également par Le Figaro, a pour ambition de discuter deux thèses
autour de la transmission du savoir grec en Occident durant le Moyen Age,
thèses qui tendent à devenir « une opinion commune ». Selon la
première, l’Europe chrétienne médiévale devrait la découverte de ce savoir aux savants
arabo-musulmans qui auraient traduit les textes grecs en arabe, permettant aux
Européens de se les réapproprier à partir du XIIe siècle dans l’Espagne
redevenue chrétienne. L’Islam médiéval serait ainsi à l’origine de l’essor de
la civilisation européenne, qui aurait une dette envers le monde musulman.
Selon la deuxième thèse, l’identité culturelle européenne aurait des racines
musulmanes remontant à la civilisation des Abbassides (751-1258). Pour
l’historien, ces deux convictions contemporaines sont fausses et imposent
l’image d’une Europe médiévale arriérée et « à la traîne d’un Islam des
Lumières ». Elles dévalorisent le passé européen. « Une sorte de
légende noire du Moyen Age semble de nouveau prendre le dessus », tandis
que la civilisation des Abbassides est présentée « sous les séduisantes
couleurs d’un univers de tolérance religieuse, d’ouverture culturelle, d’essor
scientifique rationaliste, bref une civilisation supérieure à ses homologues
chrétiennes, byzantine et latine. » Sylvain Gouguenheim démontre au
contraire dans son livre que les chrétiens du Moyen Age n’ont jamais cessé de
lire et de traduire les auteurs grecs, et que l’apport de la civilisation
islamique à la culture européenne est sinon nul, du moins très limité. Les
racines de l’Europe sont à ses yeux uniquement chrétiennes et grecques.
Plusieurs facteurs ont contribué à la permanence de la transmission de la
culture grecque dans l’Europe médiévale. Après la chute de l’Empire romain, des
foyers de peuplement grecs persistaient, et certains se sont développés au
cours du Moyen Age, notamment en Sicile, en Italie du Sud, à Rome, en Irlande
et dans l’Empire germanique. Ils étaient alimentés par les élites culturelles
de l’Empire byzantin qui fuyaient les invasions musulmanes. Sylvain Gouguenheim
établit que les élites politiques occidentales ont activement cherché à se
procurer le savoir grec. Ainsi Pépin le Bref (751-768) demanda au pape Paul Ier
de lui prêter des livres grecs qu’il possédait. Cet intérêt pour la culture
grecque a favorisé une succession de renaissances dans toute l’Europe. Le
médiéviste mentionne le rôle capital joué par les moines du Mont-Saint-Michel
et Jacques de Venise, « chaînon manquant dans l’histoire du passage de la
philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin ». Ce dernier a
traduit l’œuvre d’Aristote directement du grec au latin au début du XIIe
siècle, permettant à la France du Nord et à l’Angleterre de disposer de cet
héritage cinquante ans avant que ne commencent en Espagne les traductions à
partir des versions arabes. Par ailleurs, Byzance s’est aussi activement
tournée vers la culture grecque. Nombre de lettrés ont continué à étudier et
enseigner la pensée de Platon et d’Aristote. Dans la deuxième moitié de son
essai, l’auteur relativise l’importance de la réception de la culture
hellénique dans le monde musulman. Il rappelle que les Arabes musulmans n’ont
jamais lu les auteurs grecs dans leur langue d’origine. Ils en ont disposé
grâce à l’immense travail des chrétiens syriaques qui les ont traduits en arabe.
Les grands savants musulmans qu’étaient Al-Farabi, Avicenne et Averroès
ignoraient le grec. L’auteur s’interroge aussi sur la nature et la profondeur
de l’hellénisation de l’islam. Selon lui, celle-ci est restée très
superficielle, en raison notamment de la croyance des musulmans en la nature
incréée du Coran, qui a filtré la pénétration du savoir grec et empêché la
possibilité d’une expression libre de la pensée. Seul ce qui était compatible
avec le Coran et pouvait servir à l’explication de la révélation a été retenu.
Ainsi, la littérature et la tragédie grecques n’ont guère intéressé les
musulmans. L’héritage philosophique a été soigneusement trié en fonction des
exigences du Coran. Le médiéviste s’attache enfin à démontrer que l’islam, en
tant que civilisation, n’a rien produit de nouveau dans les domaines de la
science. Par exemple, les grands médecins du monde musulman étaient
pratiquement tous chrétiens, avance-t-il. « Dans les domaines de
l’astronomie et de la cosmologie, l’Islam a passé au tamis l’héritage grec au
bénéfice d’orientations religieuses », écrit l’auteur. Qui rappelle aussi
que le vocabulaire scientifique arabe a été forgé par les chrétiens. En bref,
la science arabo-musulmane tant vantée aujourd’hui « fut donc une science
grecque par son contenu et son inspiration, syriaque puis arabe par sa langue.
La conclusion est claire : l’Orient musulman doit presque tout à l’Orient
chrétien. Et c’est cette dette que l’on passe souvent sous silence de nos
jours, tant dans le monde musulman que dans le monde occidental. » Les
réactions n’ont pas tardé. Quarante historiens et philosophes des sciences ont
signé un texte qu’ils ont fait parvenir au Monde. Ils s’élèvent contre les
thèses de Sylvain Gouguenheim, rappellent qu’elles n’ont rien de nouveau et
écrivent qu’« il n’est aucun philosophe ou historien des sciences sérieux
pour affirmer que « l’Europe doit ses savoirs à l’islam ». Dans Le
Monde des Livres du 25 avril, deux universitaires, Gabriel Martinez-Gros et
Julien Loiseau, reprochent à l’auteur de surévaluer le rôle du monde byzantin.
De confondre « ce qui relève de la religion et ce qui relève de la
civilisation ». De nier « obstinément ce qu’un siècle et demi de
recherche a patiemment établi ». D’avoir des fréquentations
intellectuelles « pour le moins douteuses », comme René Marchand,
cité régulièrement par Gouguenheim et auteur d’une biographie très critique à
l’égard de Mahomet, mise en valeur sur le site de l’association
d’« islamovigilance » Occidentalis. Dans Libération du 30 avril, un
collectif de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Age dénonce une
« relecture fallacieuse des liens entre l’Occident chrétien et le monde
islamique ». Alain de Libera, professeur de philosophie médiévale à Genève
dont les thèses sont critiquées par Gouguenheim, a répliqué dans Télérama. Il
confie également ses critiques au Temps (ci-dessous). Quant à l’auteur,
interrogé par Le Monde des Livres, il se dit choqué que l’on puisse faire de
lui un homme d’extrême droite alors qu’il appartient à une famille de
résistants.
Sylvain
Gouguenheim. « Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de
l’Europe chrétienne », Ed. du Seuil, 278 p.
5
mai 2008 : Un héritage culturel ne réclame ni don préalable ni
testateur » Attaqué par Sylvain Gouguenheim, Alain de Libera, professeur
de philosophie à l’Université de Genève, réplique.
Patricia
Briel - Le Temps : Que pensez-vous du livre de Sylvain Gouguenheim ?
Alain
de Libera : C’est un livre militant, qui porte à la fois sur l’histoire
intellectuelle du Moyen Age et l’identité culturelle et religieuse de l’Europe.
Le projet d’ensemble est idéologique et apologétique : essai ou pamphlet,
dont la vraie cible est le dialogue des cultures. L’information scientifique
est sélective. Les thèses nouvelles déjà connues. La « découverte »
de Jacques de Venise un non-événement. Il eût été préférable de comparer les
entrées successives d’Aristote à partir du grec et de l’arabe et de ne pas se
limiter à quelques sciences. Qui lisait ces textes ? Combien de gens les
lisaient ? Et pourquoi faire ? L’arrivée des textes traduits de
l’arabe a non seulement fait exploser l’offre philosophique, mais elle a aussi
suscité une nouvelle demande. Provoqué de nouvelles questions. Soulevé de
nouveaux problèmes – c’est aussi cela la science, et la philosophie. Les textes
d’Averroès, le « Commentateur d’Aristote », ont été lus, souvent
commentés eux-mêmes, jusqu’à la fin du XVIe siècle. Leur diffusion coïncide
avec l’essor des universités. En éliminant de sa démonstration tout ce qui est
postérieur au haut Moyen Age, sous prétexte que cela était bien connu,
M. Gouguenheim s’est fait la partie belle : il a laissé de côté
quatre siècles de réception des sources arabes, de crises universitaires
européennes, de censures, de résistance à l’aristotélisme, d’effervescence
théologique, de conflits entre la raison et la foi. Il est vrai qu’en poussant
jusqu’à 1210 et au Concile de la Province ecclésiastique de Sens, il lui aurait
fallu montrer l’Europe chrétienne tout occupée à arracher ses racines, en
interdisant la lecture des « livres naturels d’Aristote », la
Métaphysique, le De anima, la Physique, « ainsi que de ses commentaires,
tant en public qu’en privé sous peine d’excommunication ».
–
Le médiéviste démontre qu’au sein du monde islamique, les musulmans n’ont joué
pratiquement aucun rôle dans la traduction des textes grecs. Ces traductions
auraient été le fait uniquement des chrétiens syriaques.
–
Il faut distinguer ici deux choses : la philosophie en Islam et la
philosophie de l’Islam. Uniquement et principalement. L’existence de médiateurs
chrétiens du syriaque à l’arabe n’est contestée par personne. N’oublions pas
cependant que ces « passeurs » du grec au syriaque, les nestoriens,
les jacobites, étaient aussi des « hérétiques » aux yeux des
Byzantins. N’oublions pas non plus que les Byzantins étaient antihelléniques,
et que les musulmans étaient philohelléniques parce qu’antibyzantins. Ce qui
est inacceptable dans la démarche de Sylvain Gouguenheim, c’est de mêler à ces
questions de fait des hypothèses d’un autre âge sur le génie de la langue arabe
– langue sémitique inclinant à la poésie plus qu’au concept, et sur l’essence
des religions – l’islam incompatible avec la raison. L’islam n’étant pas
soluble dans l’hellénisme, les musulmans n’auraient retenu de la pensée grecque
que ce qui était compatible avec le Coran. Mais que faisaient d’Aristote les
chrétiens du haut Moyen Age, avant l’arrivée des traductions tolédanes ou de
celles de Michel Scot ? Ils n’en retenaient majoritairement que ce qui
était utile à la théologie trinitaire, à l’élaboration du dogme, à la
controverse intra et inter-chrétienne : une petite partie de la logique.
L’alliance de la raison grecque et du christianisme ne concernait qu’une partie
limitée des savoirs grecs.
–
En définitive, qu’est-ce que l’Europe doit à l’islam ?
–
Elle ne lui doit rien. Un héritage culturel ne réclame pas de don préalable, ni
de testateur. La circulation des savoirs se fait par appropriation volontaire.
Il y a quelquefois des échanges et des réciprocités. Plus souvent des
porosités. Au minimum, des contacts, qui peuvent être conflictuels. La religion
ne produit pas la science. Bien heureux quand elle ne l’empêche pas. Les
chrétiens se sont approprié certains savoirs arabes, grâce à des politiques de
traduction, comme les musulmans l’avaient fait, entre autres pour les savoirs
grecs, en Orient. Cela dit, il faut garder la mémoire de ce que l’on a
acquis : où, quand, comment, par quels intermédiaires. – On ne peut
donc pas parler des racines grecques de l’Europe chrétienne ?
–
Le président Sarkozy le fait. On devrait plutôt s’intéresser de manière
critique aux transferts culturels, une notion inventée au Moyen Age, avec la
translatio studiorum érigeant le monde carolingien contre Byzance, puis le royaume
de France contre l’Empire, et l’Université de Paris contre l’Anglais, en seuls
héritiers légitimes d’Athènes et de Rome. Ces filiations revendiquées sont des
mythes fondateurs, permettant, comme dans un roman familial, la construction
d’une identité collective. Cela n’a rien à voir avec la circulation réelle des
savoirs ou des textes. L’image des racines vient d’ailleurs. Par exemple des
débats sur le Préambule de la défunte Constitution européenne et des
« racines chrétiennes de l’Europe ». C’est une image à usage
polémique, qui va de pair avec la déploration par Benoît XVI dans le Discours
de Ratisbonne de la « déshellénisation du christianisme » entamée par
la Réforme
Daté
« mai-juin 2008 » mais paru début mai 2008 : Alain de Libera,
Landerneau terre d’Islam, Revue internationale des livres et des idées, n°5
En
1857, Charles Renouvier faisait paraître Uchronie (l’utopie dans
l’histoire) : esquisse historique apocryphe du développement de la
civilisation européenne tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être.
L’histoire alternative (What-if history) était née. Ce qui s’énonce sous le
titre Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’Islam ? pourrait
annoncer un plaisant exercice d’histoire fiction. Le public du Monde se voit au
contraire offrir l’éloge d’une histoire réelle, étouffée par les
« préjugés de l’heure » et les « convictions devenues dominantes
ces dernières décennies », en suivant (au choix) « Alain de Libera ou
Mohammed Arkoun, Edward Saïd ou le Conseil de l’Europe ».
L’« étonnante rectification » à laquelle le « travail »
(mirabile dictu !)récemment publié aux Éditions du Seuil soumet les thèses
de la nouvelle Bande des Quatre, autrement dit : une vulgate « qui
n’est qu’un tissu d’erreurs, de vérités déformées, de données partielles ou
partiales », vient de loin. Elle courait depuis beau temps sur les sites
néoconservateurs, traditionalistes ou postfascistes stigmatisant pêle-mêle mon
« adulation irrationnelle » et ma « complaisance » pour
l’« Islam des Lumières » ou le « mythe de l’Andalousie
tolérante », sans oublier l’accumulation de « mensonges destinés à
nous anesthésier » (« on ne nous dit jamais que les textes grecs ont
été traduits par des Chrétiens d’Orient, à partir du syriaque ou directement du
grec » ; on nous cache soigneusement que « ni Avicenne, ni
Averroès ne connaissaient le grec », comme, serais-je tenté de dire, on ne
nous dit pas volontiers qu’il en allait de même pour Pierre Abélard, Albert le
Grand, Thomas d’Aquin ou Guillaume d’Ockham). Après l’extraordinaire publicité
faite à Aristote au Mont-saint-Michel, « nous » voilà définitivement
débriefés. L’univers des blogs souffle : le « lavage de cerveau
arabolâtre » par une « triste vulgate universitaire de niveau
touristique », « tiers-mondiste » et
« néostalinienne » n’opérera plus sur « nous ». Les
médiévistes, eux, ont du mal à respirer. Si détestable soit l’air ambiant,
leurs réponses viendront. Étant nommément mis en cause, je me crois autorisé
ici à quelques remarques personnelles, supposant que « le Conseil »
incriminé ne se manifestera guère, non plus qu’Edward Saïd mort en 2003, et
espérant que mon ami Mohammed Arkoun trouvera le moyen de se faire entendre. Si
Ernest Renan a cru bon d’écrire en 1855 que « les sémites n’ont pas
d’idées à eux », aucun chercheur virtuellement mis au ban du
« courage » intellectuel par l’article paru le 3 avril 2008 dans Le
Monde n’a jamais parlé d’une « rupture totale entre l’héritage grec
antique et l’Europe chrétienne du haut Moyen Âge », ni soutenu que la « culture
grecque avait été pleinement accueillie par l’islam », ni laissé entendre
que « l’accueil fait aux Grecs fut unanime, enthousiaste » ou
« capable de bouleverser culture et société islamiques ». Aucun
historien des sciences et des philosophies arabes et médiévales n’a jamais
présenté « le savoir philosophique européen » comme « tout
entier dépendant des intermédiaires arabes » ni professé qu’un
« monde islamique du Moyen Âge, ouvert et généreux » soit venu
« offrir à l’Europe languissante et sombre les moyens de son expansion ».
La vulgate dénoncée dans Le Monde n’est qu’un sottisier ad hoc, inventé pour
être, à peu de frais, réfuté. En ce qui me concerne, j’ai, en revanche,
« répété crescendo » depuis les années 1980 que le haut Moyen Âge
latinophone avait préservé une partie du corpus philosophique de l’Antiquité
tardive, distingué deux âges dans l’histoire de la circulation des textes
d’Orient (chrétien, puis musulman) en Occident, l’âge gréco-latin et
l’arabo-latin, marqué la différence entre « philosophie en Islam » et
« philosophie de l’islam », mis en relief le rôle des Arabes
chrétiens et des Syriaques dans « l’acculturation philosophique des
Arabes » et souligné la multiplicité des canaux par lesquels les Latini
s’étaient sur la « longue durée » (le « long Moyen Âge »
cher à Jacques Le Goff) réapproprié une partie croissante de la pensée antique.
Un historien, dit Paul Veyne, « raconte des intrigues », qui sont
« autant d’itinéraires qu’il trace » à travers un champ événementiel
objectif « divisible à l’infini » : il ne peut « décrire la
totalité de ce champ, car un itinéraire doit choisir et ne peut passer
partout » ; aucun des itinéraires qu’il emprunte « n’est le
vrai », aucun « n’est l’Histoire ». Les mondes médiévaux
complexes, solidaires, conflictuels dont j’ai tenté de décrire les relations,
les échanges et les fractures ne sauraient s’inscrire dans une hagiographie de
l’Europe chrétienne, ni s’accommoder de la synecdoque historique qui y réduit
l’Occident médiéval : il y a un Occident musulman et un Orient musulman
comme il y a un Orient et un Occident chrétiens, un kalam (le nom arabe de la
« théologie ») chrétien, juif, musulman. Pour construire mon propre
itinéraire, j’ai utilisé, en l’adaptant, l’expression de translatio studiorum
(transfert des études) pour décrire les transferts culturels successifs qui, à
partir de la fermeture de la dernière école philosophique païenne, l’école
néoplatonicienne d’Athènes, par l’empereur chrétien Justinien (529), ont permis
à l’Europe d’accueillir les savoirs grecs et arabes dans ses lieux et
institutions d’enseignement. L’homme dont le nom « mériterait de figurer
en lettres capitales dans les manuels d’histoire culturelle », Jacques de
Venise, que tout le monde savant connaît grâce à Lorenzo Minio Paluello et l’Aristoteles
Latinus, figure en bas de casse dans l’index de mon manuel de Premier cycle,
désormais (providentiellement) rebaptisé Quadrige, où il occupe plus de deux
lignes, comme celui, au demeurant, de Hunayn Ibn Ishaq. Les amateurs de
croisades pourraient y regarder avant d’appeler le public à la grande
mobilisation contre les sans-papiers. Vue dans la perspective de la translatio
studiorum, l’hypothèse du Mont-saint-Michel, « chaînon manquant dans
l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde
latin » hâtivement célébrée par l’islamophobie ordinaire, a autant
d’importance que la réévaluation du rôle de l’authentique Mère Poulard dans
l’histoire de l’omelette. Le sous-titre de l’ouvrage paru dans la collection
« L’Univers historique » est plus insidieux. Parler des
« racines grecques de l’Europe chrétienne » n’est pas traiter des
« racines grecques du Moyen Âge occidental latin ». On ne peut
annexer Byzance ni à l’une ni à l’autre. Les interventions de Charlemagne dans
la « querelle des images », le schisme dit « de Photios »,
le sac de Constantinople par les « Franks », le nom byzantin des
« croisés », le Contra errores Graecorum ne plaident guère en faveur
d’une réduction des christianismes d’Orient et d’Occident à une Europe chrétienne
étendue d’Ouest en Est. Quant aux fameuses « racines grecques »
opposées à l’« hellénisation superficielle de l’Islam », faut-il
encore rappeler que la philosophia a d’abord été présentée comme une science
étrangère (« du dehors ») chez les Byzantins avant de l’être chez les
penseurs juifs et musulmans, l’appellation de « science étrangère » –
étrangère à la Révélation et au « nous » communautaire qu’elle
articule – étant née à Byzance, où la philosophie a été longtemps qualifiée de
« fables helléniques » ? Faut-il encore rappeler que si les
chrétiens d’Occident se sont emparés de la philosophie comme de leur bien
propre, ce fut au nom d’une théorie de l’acculturation formulée pour la
première fois par Augustin, comparant la sagesse des païens et la part de
vérité qu’elle contient à l’or des Égyptiens légitimement approprié par les
Hébreux lors de leur sortie d’Égypte (Ex 3, 22 et Ex 12, 35) ? Je
« nous » croyais sortis de ce que j’ai appelé il y a quelques années,
dans un article du Monde diplomatique : la « double amnésie
nourrissant le discours xénophobe ». Voilà, d’un trait de plume, la
falsafaredevenue un événement marginal, pour ne pas dire insignifiant, sous
prétexte que « l’Islam ne s’est pas véritablement hellénisé ».
Averroès ne représente qu’Ibn Rushd, Avicenne qu’Ibn Sina, c’est-à-dire
« pas grand-chose, en tout cas rien d’essentiel ». Encore un pas et
l’on verra fanatiques religieux et retraités pavillonnaires s’accorder sur le
fait que, après tout, l’Europe chrétienne qui, bientôt, n’aura plus de pétrole
a toujours eu les idées. J’ai assez dénoncé le « syndrome de
l’abricot » pour ne pas jouer la reconnaissance de dette contre le refus
de paternité ni tout confondre dans la procédure et la chicane accompagnant
tout discours de remboursement. Le lieu commun consistant à recommencer
l’inlassable inventaire des emprunts de l’Occident chrétien au monde
arabo-musulman n’a pas d’intérêt, tant, du moins, qu’il ne s’inscrit pas dans
une certaine vision philosophique et culturelle de l’histoire européenne. De
fait, aller répétant que le mot français abricot vient de l’espagnol
albaricoque, lui même issu de l’arabe al-barqûq (« prune ») ne
changera rien au contexte politique et idéologique teinté d’intolérance, de
haine et de refus que vit une certaine Europe – sans parler évidemment des
États-Unis d’Amérique – par rapport à l’Islam.Qu’elle soit ou non
« étrangère », reste que la philosophie n’a cessé de voyager. C’est
la longue chaîne de textes et de raison(s) reliant Athènes et Rome à Paris ou à
Berlin via Cordoue qui a rendu possibles les Lumières : Mendelssohn lisait
Maïmonide, qui avait lu Avicenne, qui avait lu Alfarabi, et tous deux avaient
lu Aristote et Alexandre d’Aphrodise et les dérivés arabes de Plotin et de
Proclus. Le « creuset chrétien médiéval », « fruit des héritages
d’Athènes et de Jérusalem », qui a « créé, nous dit Benoît XVI,
l’Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle
l’Europe », est d’un froid glacial, une fois « purifié » des
« contributions » des traducteurs juifs et chrétiens de Tolède, des
Yeshivotde « sciences extérieures »de l’Espagne du Nord, où les
juifs, exclus comme les femmes des universités médiévales, nous ont conservé
les seuls fragments attestés d’une (première) version arabe du Grand Commentaired’Averroès
sur le De anima d’Aristote. Combien de manuscrits judéo-arabes perdus à
Saragosse ? Combien de maîtres oubliés ? Autant peut-être que dans
les abbayes bénédictines normandes du haut Moyen Âge. Je confie à d’autres le
soin de rappeler aux fins observateurs des « tribulations des auteurs
grecs dans le monde chrétien » que la Métaphysiqued’Aristote a été
traduite en arabe et lue par mille savants de l’Inde à l’Espagne, qu’un livre
copié, a contrario, ne fait pas un livre lu, que la mise en latin de scholies
grecques trouvées telles quelles dans le manuscrit de l’œuvre que l’on traduit
n’est pas nécessairement une « exégèse » originale, qu’il a existé
des Romains païens, que les adversaires musulmans de la falsafa étaient tout
imprégnés des philosophies atomistes reléguées au second plan dans les écoles
néoplatoniciennes d’Athènes et d’Alexandrie, et bien d’autres choses encore.
Les médias condamnent les chercheurs au rôle de Sganarelle, réclamant leurs
gages, seuls, et passablement ridicules, sur la grande scène des pipoles d’un
jour. Je n’ai que peu de goût pour ce rôle, et ne le tiendrai pas. Je pourrais
m’indigner du rapprochement indirectement opéré dans la belle ouvrage entre
Penser au Moyen Âge et l’œuvre de Sigrid Hunke, « l’amie de Himmler »,
appelant les amateurs de pensée low cost à bronzer au soleil d’Allah. Je
préfère m’interroger sur le nous ventriloque réclamant pour lui seul l’usufruit
d’un Logos benoîtement assimilé à la Raison : nous les « François de
souche », nous les « voix de la liberté », nous les
« observateurs de l’islamisation », nousles bons chrétiens soucieux
de ré-helléniser le christianisme pour oublier la Réforme et les Lumières. Je
ne suis pas de ce nous-là.Méditant sur les infortunes de la laïcité, je voyais
naguère les enfants de Billy Graham et de Mecca-Cola capables de sortir enfin
de l’univers historique du clash des civilisations. Je croyais naïvement qu’en
échangeant informations, récits, témoignages, analyses et mises au point
critiques, nous, femmes et hommes de sciences, d’arts ou de savoirs, aux
expertises diverses et aux appartenances culturelles depuis longtemps
multiples, nous, citoyens du monde, étions enfin prêts à revendiquer pour tous,
comme jadis Kindi pour les Arabes, le « grand héritage humain ».
C’était oublier l’Europe aux anciens parapets. La voici qui, dans un remake
qu’on voudrait croire involontaire de la scène finale de Sacré Graal, remonte
au créneau, armée de galettes « Tradition & Qualité depuis
1888 ». Grand bien lui fasse. Cette Europe-là n’est pas la mienne. Je la
laisse au « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale »
et aux caves du Vatican.
Début
mai 2008 : Max Lejbowicz, "Saint-Michel historiographe. Quelques
aperçus sur le livre de Sylvain Gouguenheim" [ce texte paraitra dans la
revue les Cahiers de Recherches Médiévales, prévu pour le numéro 16 de l’année
prochaine – 2009]
L’
auteur développe une thèse qui, fondée sur le postulat de l’excellence
exclusive de la culture grecque, se met aisément sous forme syllogistique.
Prémisse majeure : la culture de l’Europe latine s’est tout au long du
Moyen Âge abreuvée aux sources de la culture grecque. Prémisse mineure : à
la même époque, la culture arabo-islamique n’a été qu’effleurée par la culture
grec-que. Conclusion : la culture arabo-islamique a eu peu d’effet sur le
développement d’une Europe latine, grecque dans l’âme, en dépit des traductions
arabo-latines du XIIe siècle.
Mis
en valeur par un titre accrocheur, les rapports d’Aristote et du
Mont-Saint-Michel ne sont traités que dans un des cinq chapitres du livre, le
troisième ; ils s’insèrent dans l’ensemble plus large que je viens
d’évoquer et que traduit le sous-titre d’un classicisme austère. L’illustration
de couverture renforce pourtant ce titre discutable en l’orientant curieusement.
Elle reproduit une enluminure où, dans le ciel du Mont-Saint-Michel, l’archange
protecteur des lieux terrasse le dragon1. Faut-il penser qu’en éduquant
l’Europe latine un Aristote exempt d’arabismes a rejoint la milice
céleste ? Je préfère croire que l’ auteur et son éditeur invitent leurs
lecteurs du XXIe siècle à partager le combat que sous toutes les latitudes et à
toutes les époques, les historiens mènent contre les approximations, les
erreurs, les dossiers mal ficelés et les surinterprétations, contre aussi ces
dérives du jugement qui résultent de compagnonnages inavoués. Je ré-ponds à
leur initiative, en procédant du simple, du trivial même, au complexe. Le livre
se termine par une Bibliographie sélective (BS) de quinze pages. Si elle donne,
comme il se doit, un aperçu de la documentation sur laquelle l’ auteur s’est
appuyé pour défendre et il-lustrer sa thèse, elle laisse aussi entrevoir le
degré de familiarité qu’il a atteint avec son sujet. L’usage de préciser les
première et dernière pages des articles et des contributions à un volume n’est
que partiellement suivi ; y échappent Aerts, al-Azmeh, Albert, Ammar,
Delcambre, van Ess, etc. sans qu’on sache en quoi ces auteurs ont démérité. Les
trois auteurs du tome I de l’Histoire culturelle de la France ne doivent pas
être énoncés selon l’ordre alphabétique de leur nom mais en commençant par
celui de Michel Sot, qui, conformément aux informations données sur la
couverture et la page de titre, a dirigé ce tome. L’ouvrage de Robert Benson,
Giles Constable et Carol Lanham n’est pas seulement sorti sous le label d’un
éditeur américain, Harvard University Press, mais aussi sous celui d’un éditeur
européen, Clarendon Press d’Oxford ; il en existe de surcroît une édition
de poche parue en 1991 chez Toronto University Press. La traduction française
de l’ouvrage de Richard Hodges et David Whitehouse n’est pas parue au CNRS mais
aux éditions P. Lethielleux, dans une collection spécialisée et de haute
tenue : « Réalités byzantines ». Le tome I d’une des deux contributions
citées de Roshdi Rashed, Les mathématiques infinitésimales du IXe au XIe
siècle, n’est pas davantage paru au CNRS, en 1996, mais à l’Al-Furqan Islamic
Heritage Foundation de Londres, trois ans plus tôt. Quatre autres tomes ont
depuis complété ce premier chez le même éditeur. La lecture de cet ensemble est
quelque peu ardue mais, en persévérant, le lecteur obtient un résultat
difficilement contestable : le niveau atteint par les mathématiciens
arabophones sur le sujet annoncé par le titre se situe au-dessus de celui des
Grecs de l’Antiquité et bien au-dessus de celui des Latins de l’époque.
L’adjectif
qui qualifie cette bibliographie aurait demandé que soient précisés les
critères au nom desquels la sélection s’est opérée. En l’état, ils paraissent
si peu évidents que l’adjectif « arbitraire » semble être plus
approprié. Certains travaux de Lorenzo Minio-Paluello sont largement utilisés
dans le livre, eux qui ont mis en pleine lumière la figure du traducteur
gréco-latin Jacques de Venise2 ; mais le recueil du savant médiéviste,
Opuscula. The Latin Aristotle, Amsterdam, 1972 n’est pas mentionné. Il réunit,
en les dotant le plus souvent de notes additionnelles, tous les articles de
l’intéressé qui, parus avant 1969, étaient pour lui importants, soit trente-et-un
au total. De fait, les trois sur cinq qui sont cités dans la BS, et qui
respectent ce critère de date, se retrouvent dans les Opuscula, munis, pour
deux d’entre eux, de notes additionnelles pour deux d’entre eux. La
documentation sur laquelle l’ auteur s’appuie pourrait être évaluée en
rapportant ces trois articles aux trente-et-un du recueil : elle atteint
le dixième de ce qu’il aurait été souhaitable qu’elle acquière3. Pire :
l’instrument de travail de Charles Lohr4, est, lui, passé sous silence. La
présence des médiévistes sollicités oscille entre le dixième de Minio-Paluello
et le zéro de Lohr. Qu’on en juge. Peut-on réduire l’apport aux études
médiévales de Menso Folkerts à son seul article sur l’abaque de Gerbert ?
Ce médiéviste n’est-il pas aussi l’auteur d’un très remarquable Euclid in
Medieval Europe, qui, paru en 1989 a, depuis lors, été mis en ligne et à jour
sur le site
http://www.math.ubc.ca/ cass/Euclid/folkerts/folkerts.html ? Et que
dire de l’absence de l’étude fondatrice de Marshall Clagett, « The
Medieval Latin Translations From the Arabic of the Elements of Euclid, With
Special Emphasis on the Versions of Adelard of Bath », Isis, XLIV (1953),
p. 16-42, reprise dans le recueil Studies in medieval Physics and Mathematics,
Londres, 1979 ? Sans compter une autre absence non moins étonnante, celle
qui porte sur les éditions de l’Euclide arabo-latin par Hubert L. L. Busard,
seul ou avec l’aide du même Folkerts, de ou attribué à Hermann de Carinthie,
Adélard de Bath, Gérard de Crémone, Robert de Chester et Campanus de
Novare ? Outre, enfin, que le même Busard a également édité la version
médiévale gréco-latine anonyme des Éléments, édition que notre chantre de
l’hellénisme n’a pas retenue. Le nombre des manuscrits de chacune de ces deux
versions montre celle qui avait la préférence des Latins des XIIe-XVe
siècles : l’arabo-latine est très nettement gagnante. Autre
« oubli » étonnant : les cinq tomes de l’Archimedes in the
Middle Ages de Clagett, si riches en textes originaux, et si révélateurs des
efforts des clercs médiévaux latins pour retrouver les éléments d’une véritable
science. Parmi les lacunes les plus flagrantes au regard du thème annoncé par
le sous-titre, on relève : les Dionysiaca édités par Philippe Chevallier,
Paris, 1937 ; Hyacinthe F. Dondaine, Le Corpus Dionysien de l’Université
de Paris au XIIIe siècle, Rome, 1953 ; les éditions et les travaux de
Raymond Klibansky sur le Platon latin ; les mille pages de la Cambridge
History of Later Medieval Philosophy, 1982, qui contiennent une excellente
contribution de Bernard G. Dod, « Aristotle in the middle ages » et,
parue sous la direction de Peter Dronke, la plus modeste History of
Twelfth-Century Western Philosophy, 1988, qui contient trois remarquables
contributions sur les héritages philosophiques reçus par les clercs
médiévaux : platonicien (Tullio Gregory), stoïcien (Michael Lapige) et
arabe (Jean Jolivet). Réduire à Aristote l’hellénisme de l’Europe latine n’est
guère conforme au contenu des bibliothèques médiévales.
L’
auteur montre un intérêt particulier pour l’un des traducteurs arabo-latins,
Adélard de Bath, déjà cité ; je prends les quelques lignes qu’il lui
consacre pour fil conducteur de la suite de mon propos5. Il donne, p. 52, un
aperçu bio- et bibliographique d’Adélard, mais sans préciser les sources
auxquelles il puise. S’il avait consulté les actes du colloque Adelard of Bath.
An English Scientist and Arabist of the Early Twelfth Century, Londres, 1987,
ou la biographie de Louise Cochrane, Adelard of Bath. The First English
Scientist, Londres, 1994, il n’aurait pas attribué à son héros une traduction
arabo-latine de la Syntaxe mathématique de Claude Ptolémée, qui a jusqu’à
aujourd’hui échappé à la vigilance du spécialiste par excellence du Ptolémée
arabo-latin, Paul Kunitzsch. La BS n’a pas retenu le nom de cet historien
polyglotte de l’astronomie ancienne et médiévale, dont l’œuvre est
impressionnante (voir sa bibliographie sur le site
http://www.geschichte.uni-muenchen.de/wug/gnw/personen_kunitz.shtml).
L’
auteur mentionne dans ce même passage le traité sur l’astrolabe d’Adélard, sans
prendre la peine de le situer dans les années 1140-1150. Or cette décennie
abonde en traités de l’espèce avec ceux de Raymond de Marseille, de Jean de
Séville, d’Abraham ibn Ezra, de Platon de Tivoli, de Robert de Chester et de
Robert de Bruges – outre la traduction latine, par Hermann de Carinthie, de la
traduction gréco-arabe de la Planisphère de Ptolémée, qui contient la théorie
de la projection stéréographique indispensable à l’intelligence de
l’instrument. Fait significatif : Hermann dédie sa traduction à un maître
chartrain, Thierry de Chartres, et jette ainsi un pont entre les traducteurs
arabo-latins travaillant dans la péninsule ibérique et l’un des plus
prestigieux maîtres de l’École de Chartres6. L’auteur ignore cette
effervescence astrolabique si remarquablement datée, qui doit peu aux Grecs et
beaucoup aux Arabes ; il n’est pas en mesure de signaler la place que le
traité d’Adélard occupe dans le genre, alors que l’originalité en avait été
soulignée par Emmanuel Poulle dans les actes du colloque de 1987 et qu’elle
permet de voir à l’œuvre les modes d’information et de pen-ser d’un des plus
originaux traducteurs arabo-latins. Toujours dans ce même passage, l’ auteur
met à l’actif d’Adélard la traduction de tables astronomiques, sans préciser
qu’il s’agit de celles d’al-Khwârizmî dont la version latine a été éditée par
Henri Suter en 1914 et brillamment commentée en 1962 par Otto Neugebauer, l’un
et l’autre passés entre les mailles de la BS. Dépossédés d’une de leurs tables
astronomiques, les Arabes le sont de la plupart de leurs observatoires.
D’après
l’ auteur, p. 247, n. 63 : « les premiers observatoires astronomiques
apparaissent seulement dans la deuxième moitié du XIIIe siècle (observatoire de
Maragha en Azerbaïd-jan, édifié sur ordre du petit-fils de Gengis Khan et doté
d’une bibliothèque ; malheureusement les sources écrites sont indigestes
et on ne connaît pas le fonctionnement de cette institution). » Que n’a-t-il
lu le livre de Roshdi Rashed et Régis Morelon, Histoire des sciences arabes,
qui est bel et bien mentionné dans la BS ! Il aurait appris, t. 1, p.
23-30, sous la plume de Morelon, que les premiers observatoires arabes ont
quatre siècles de plus. L’éminent historien de l’astronomie arabe parle aussi
de celui de Maragha « dont nous connaissons bien le fonctionnement (p.
28) », en renvoyant au rapport de fouille de P. Vardjavand qui date de
plus d’un quart de siècle (Istanbul, 1980).
Un
autre gros poisson a échappé aux filets de l’ auteur : Adélard a également
traduit un second texte d’al-Khwârismî, le traité sur la numération de
position. Sa traduction a été éditée, traduite en français et commentée par
André Allard, avec trois autres traductions du même traité réalisées à la même
époque7. Ces textes éclairent rétrospectivement l’abaque de Gerbert, antérieure
de près de cent cinquante ans, et qui n’a rien à voir avec son homonyme de
l’antiquité gréco-latine. Ne faisant pas usage du zéro, comme l’exige la
numération de position, Gerbert est obligé de recourir à un palliatif :
selon les besoins du calcul en cours, il place l’un des nombres de 1 à 9 dans
une première colonne, celle des unités, dans une deuxième, celle des dizaines,
dans une troisième, celle des centaines, etc. ; puis, pour procéder à
l’une des quatre opérations, il élabore une procédure adaptée à ce dispositif.
Au contact d’une nouveauté arabe qu’il peine à comprendre, il a transformé un
héritage gréco-latin et produit un ersatz arithmétique que ses successeurs,
mieux avertis, relégueront aux rayons des curiosités intellectuelles. Passer de
Gerbert à Adélard, c’est passer d’une pseudo à une véritable numérotation de
position, dont est constitutif ce zéro au statut étrange et à l’étymologie
étrangère aussi bien au grec qu’au latin. Les médiévaux latins ont ainsi
atteint, grâce aux Arabes et non sans efforts, un niveau arithmétique inconnu
de l’Antiquité classique. Je ne vois pas en quoi cette page ne devrait pas être
intégrée à une enquête sur les origines culturelles de l’Europe – sauf à
attribuer à la numération additive une excellence dont elle est
dépourvue ; son maintien aurait, par exemple, empêché la naissance de
l’informatique, pour ne rien dire des multiples blocages qu’elle n’aurait pas
manqué d’introduire dans la théorie des nombres.
Par
la suite, p. 184 et 256, n. 31, l’ auteur revient sur Adélard dont il cite, en
traduction française, un extrait des Quaestiones naturales, en s’abstenant de
mentionner l’édition latine utilisée (Müller, Münster, 1934 ? Di Giovanni
et Ferrari, Rapallo, 1965 ? Burnett, Cambridge, 1998 ?) et a fortiori
en n’en donnant pas les références précises. Bien qu’aucune marque
typographique ne signale le montage, la citation est formée de deux passages,
l’un emprunté au prologue et l’autre à l’avant-propos des Quaestiones8. Ces
deux passages ne sont pas inconnus des médiévistes. Ils avaient été relevés en
latin par le pionnier des études sur les traductions médiévales, Amable
Jourdain9. Ils sont également cités en français par Michel Rouche10, dans des
termes identiques à ceux de l’ auteur jusque dans l’absence d’indication du
montage : les deux auteurs ont au moins une source commune et, de toute
façon, l’absence de consultation du texte original est rédhibitoire sous la
plume d’un historien. Dans ces passages, Adélard s’en prend aux pisse-vinaigre
qui récusent par principe les nouveautés ; pour éviter leurs attaques, il
préfère mettre au compte des Arabes ce qui vient de son propre fonds :
« Le propos mérite d’être médité » soutient sans plus l’ auteur. Il
mérite surtout d’être compris. Il serait bien maladroit d’attribuer fictivement
des nouveautés de prix à des auteurs chargés d’une sinistre réputation. Pour
que les lecteurs du XIIe siècle ad-mettent la tactique d’évitement qu’Adélard
adopte, ils doivent au moins la considérer comme crédible ; et ils ne le
peuvent qu’en tenant en haute estime les savants arabophones. La traduction
citée des deux traités d’al-Khwârismî favorise évidemment cette notoriété. Mais
il y a plus. Les arabica studia du passage cité de l’avant-propos des
Quaestiones répondent aux Arabum studia d’un passage non cité du prologue, et
ces deux expressions deviennent, sous la plume d’un autre traducteur, Hermann
de Carinthie, les intimi Arabum thesauri –trésors très secrets qu’il a
exploités en travaillant dans la haute vallée de l’Èbre avec Robert de Chester,
à qui il adresse le prolo-gue de son De essentiis11. Le mot thesauri est
employé à peu près à la même date dans une optique similaire par un traducteur
qui travaille pour l’essentiel à Barcelone, Platon de Tivoli12. Un peu plus
tard, vers la fin des années 1160, un Anglais, Daniel de Morley, ronge son
frein à Paris, où l’a conduit sa soif de connaissance, que les Franciae
magistrin’ont pas étanchée. Il ressent un vif at-trait pour la doctrina
Arabum13, si vif qu’il part pour Tolède afin de l’étudier. Il est cette fois
comblé. Une expression similaire se trouve chez Étienne d’Antioche, un natif de
Pise, qui parle avec déférence de l’Arabum veritas14. Alors que l’encre du De
essentiis et du De scientia stellarum est à peine sèche, Gérard de Crémone
arrive à la fin de son cursus scolaire en devenant magister ar-tium15. Il
décide de quitter sa ville natale « par passion pour l’Almageste,
amoreAlmagesti, qui était absolument introuvable chez les Latins ». À la
recherche du chef-d’œuvre de Ptolémée, il obéit au tropisme de nombreux
chercheurs de son temps : il prend la route de Tolède (non celle de
Constantinople ou de la Sicile…), où Daniel de Morley devait par la suite le
rejoindre16. Pour évoquer la découverte de la science et de la philosophie
arabes par leur futur maître, les auteurs de la Vita font dresser par le
voyageur un constat. Arrivé dans la ville frontière de la Reconquista, il
remarque « l’abondance des livres rédigés en arabe dans toutes les
disciplines » et déplore « la pénurie des Latins en ces matières,
qu’il avait bien connue. » Avec une énergie proprement admirable, il
devient le traducteur arabo-latin le plus prolixe de sa génération. La série de
notations que je viens de faire trouve son expression la plus haute sous la
plume de Pierre Abélard. Dans son Dialogue d’un Philosophe avec un Juif et un
Chrétien, le personnage du philosophe est un fils d’Ismaël, circoncis,
autrement dit un Musulman17. Pour la fine fleur de l’intelligentsia du XIIe
siècle latin, les maîtres de la ratio vivent au Sud des Pyrénées et à l’Est de
la Méditerranée. Certes, Abélard, qui possède jusqu’au bout des ongles
l’Aristote connu en son temps, sent le souffre. Mais Pierre le Vénérable, qui
est à la tête d’un puissant réseau ecclésiastique et qui ne passe pas pour être
un spécialiste d’Aristote ? Il juge les Arabes « habiles et
savants » et fait l’éloge de leurs bibliothèques remplies de livres
consacrés aux arts libéraux et aux sciences de la nature, même s’il continue à
les juger « sots quant aux choses éternelles et divines18. » La
différence de leur culture n’a pas empêché les deux hommes de nouer des
rapports d’estime et de respect19. Après ce tour d’horizon, je peux revenir à
l’aveu d’Adélard, dont les écrits ne montrent pas une prédilection marquée pour
« les choses éternelles et divines ». C’est bien parce que les
sciences arabophones jouissent à son époque d’un réel prestige que, pour être
entendu, il prétend mettre ses propres réflexions sous leur patronage. Son
choix proclamé d’une tactique d’évitement est en sous-main une tactique
d’autopromotion. Il cherche à séduire le public susceptible de le suivre en
laissant supposer que lui-même suit des maîtres arabes. Qu’il soit lu
littéralement ou qu’il soit entendu jusque dans ses roueries, Adélard témoigne
de la haute estime dans laquelle il tient les savoirs arabes. Pouvait-il agir
différemment, alors qu’il a pris la peine de traduire certains ouvrages arabes,
qui, eu égard à sa formation et au niveau des études latines, n’étaient pas
d’accès facile ? En prétendant que, pour se mettre à l’abri des
conservateurs de toute sorte, il préfère attribuer aux Arabes ses propres
conceptions, il accroît le prestige de ces derniers ; et, en même temps,
son arabophilie ne va pas sans un certain aveuglement. Je ne suis pas sûr qu’en
procédant ainsi, il se soit mis à l’abri d’attaques possibles : il
s’expose à être dénigré soit comme auteur de nouveau-tés soit comme
porte-parole de nouveautés. L’admiration qu’il porte aux sciences arabes lui
fait commettre des erreurs tactiques. Au final, son aveu incite à
« méditer » sur les difficultés que rencontrent les novateurs,
arabophiles ou non, dans un environnement conservateur, chrétien ou non. L’
auteur soutient tout au long de son livre que les médiévaux latins font preuve
d’une bonne tenue intellectuelle grâce à leur connaissance de la culture
grecque. À lire les auteurs qui appartiennent à l’avant-garde du XIIe siècle,
c’est plutôt la science arabe qui joue le rôle d’aiguillon. À moins d’invoquer
l’ingratitude et l’inconscience de ces initiateurs, force est de reconnaître
que l’ auteur s’est enfermé dans une contradiction. Si les médiévaux la-tins
sont, comme il le prétend, des hommes formés et informés, est-ce qu’il n’est
pas préférable d’accepter leurs propos ? Et, par la même occasion, de
revoir la thèse unilatérale qu’il défend ? Qu’il n’ait pas fait l’effort
de prendre connaissance des différentes pièces du dossier, chaque page de son
livre le proclame et sa thèse en ait la cruelle démonstration. Ses
insuffisances manifestes ne condamnent pas son projet dès lors qu’il est abordé
avec le bagage requis. Faire le bilan des apports respectifs des cultures
grecque et arabe à l’éducation des médiévaux latins est une tâche passionnante
et, dans les circonstances présentes, une œuvre salutaire. Le livre refermé, on
attend toujours l’historien qui l’entreprendra en respectant les quelques
règles d’or des sciences humaines et plus particulièrement de sa
discipline : la neutralité axiologique19, la connaissance des sources et
une bonne connaissance des études ponctuelles déjà publiées sur les différents
aspects du thème retenu. En dehors de ces trois règles, il n’y a pas
d’historien qui vaille. Le toupet impressionne les amateurs20 ; il n’aide
pas à construire un savoir.
Notes
1
L’enluminure est dotée d’un copyright dans la quatrième de couverture, mais son
origine n’est précisée nulle part. Rendons au Moyen Âge ce qui lui
appartient : elle est extraite des Très Riches Heures du duc de Berry,
Chantilly, Musée Conté, ms. 65 daté de 1411-1416 selon les travaux de Patricia
Stirnemann (et non de 1402-1416), f. 195, où elle illustre, dans le contexte de
la guerre de Cent Ans, le verset Ap 12, 7 : « Et factum est proelium
in caelo ; Michahel et angeli eius proeliabantur cum dracone ». La
position géographique de l’abbaye confère à celle-ci un rôle stratégique. Peu
après la bataille de Poitiers, son abbé reçoit du dauphin Charles le titre de
capitaine. Sous l’abbatiat de Pierre Le Roy (1386-1410), elle est pourvue d’un
système défensif remarquablement efficace. Elle devient le symbole de la
résistance à l’envahisseur, qui, en dépit de ses efforts, ne parviendra jamais
à la prendre. La paix revenue, le roi Louis XI rend hommage à ce pôle de
résistance en créant l’Ordre de Saint-Michel dévolu à la défense du royaume et
à la grandeur de la monarchie (sur tout cela, voir le catalogue de l’exposition
Millénaire du Mont-Saint-Michel, 966-1966, Paris, 1966). Il n’y a pas d’image
innocente, aussi belle soit-elle. En valoriser une, sans prendre la précaution
de préciser les conditions de sa création ni le sens que ses créateurs (les
frères Limbourg) et son commanditaire (Jean de Berry, l’un des frères de
Charles V) lui ont attribuées, conduit à s’abstraire de d’histoire et à ouvrir
les vannes de la mythologie. Tant qu’à faire, je choisis la mythologie qui
honore le mieux Clio. 2 J’utilise le mot « traducteur » sans autre
précision. Appliqué aux Latins du XIIe siècle, il demanderait des précisions
qui dépassent le cadre de ce compte rendu. 3 Depuis Minio-Paluello, la
recherche a continué : Guglielmo CAVALLO, Giuseppe DE GREGORIO et Marilena
MANIACI (eds.), Scritture, libri e testi nelle aree provinciali di Bisanzio.
Actes du Colloque d’Erice, 18-25 septembre 1988, Spolète, 1991, 2 t. et Rita
BEYERS, Jozef BRAMS, Dirk SACRE et Koenraad VERRYCKEN (eds.), Tradition et
traduction. Les textes philosophiques et scientifiques grecs au Moyen Âge
latin. Hommage à Fernand Bossier, Louvain, 1999... La BS ignore ces recueils. 4
Charles LOHR,Commentateurs d’Aristote au Moyen Âge latin. Bibliographie de la
littérature secondaire récente, Fribourg / Paris, 1988, 5 Il aurait été
possible de prendre d’autres fils conducteurs. J’en énumère quelques-uns :
comparer les conjonctures historiques à la naissance du christianisme et à
celle de l’islam ; dresser un parallèle entre les couples
« christianisme / chrétienté » et « islam / Islam » ;
déterminer le statut des langues dans la chrétienté et dans l’Islam ;
faire l’histoire des chrétiens syriaques combattus par Byzance et tolérés,
sinon honorés, par les Omeyyades et les Abbasides ; dresser un tableau des
bibliothèques grecques, latines et arabes ; comparer le statut de
l’astrologie à Byzance, dans l’Europe latine et dans l’Islam, en examinant la
thèse insolite de Paul Magdalino (si Byzance avait admis l’orthodoxie des
astrologues, elle aurait directement participé à la révolution scientifique des
XVIe et XVIIe siècles) ; analyser l’apport d’Ibn al-Haytham à l’optique,
etc. Je n’en choisis qu’un seul pour montrer avec une précision compatible avec
les limites d’un compte rendu la désinvolture de l’A. Toutes les études citées
par la suite en note sont absentes de la BS. 6 Sur ce point, Max LEJBOWICZ, « Le
premier témoin scolaire des Éléments arabo-latins d’Euclide. Thierry de
Chartres et l’Heptateuchon », Revue d’histoire des sciences, 56 (2003), p.
347-368. 7 MUHAMMAD IBN MUSA AL-KHWARISMI, Le Calcul Indien (Algorismus), Paris
/ Namur, 1992, édition qui doit être complétée par celle de FOLKERTS et
KUNITZSCH, Die älteste lateinische Schrift über das indische Rechnen nach
al-Hwarizmi, Munich, 1997. 8 ADELARD OF BATH, Conversations with his Nephew
(…), ed. by Charles Burnett, Cambridge, 1998, p. 82 et 90. 9 A. JOURDAIN,
Recherches critiques sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote
et sur des commentaires grecs ou arabes employés par les docteurs scolastiques,
Paris, 1819 (éd. revue par Ch. Jourdain, Paris 1843, p. 274) 10 Michel ROUCHE,
Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. I, Des
origines à la Renaissance, Paris 1981 ; éd. de poche, Paris, 2003, p. 351.
11 HERMANN OF CARINTHIA, De essentiis, ed. by Charles BURNETT, Leyden /
Cologne, 1982, p. 7026 27, daté de 1143 : « ... cultus et ornatus ...
quos ex intimis Arabum thesauris diutine nobis vigilie laborque gravissimus
acquisierat. » L’expression cultus et ornatus doit probablement s’entendre
de deux manières : leur travail les a enrichis intellectuellement et matériellement.
12 MAHOMETIS ALBATENII, De scientia stellarum ..., Bologne, 1645, pref., fol.
b. La version latine qui accompagne l’édition moderne de l’original arabe est
due à l’éditeur : AL-BATTANIsiveALBATENII, Opus astronomicum (…) a C. A.
NALLINO, Milan, 1899-1907 ; elle n’est pas propice à un relevé lexical. 13
G MAURACH, « Daniel von Morley, ‘Philosophia’ », Mittellateinisches
Jahrbuch, 14 (1979), p. 204-255, liber I, prefatio, 1-2, p. 212. La Philosophia
a été écrite vers 1180 et le séjour de Daniel à Tolède date des années 1170 (p.
209-210). 14 ÉTIENNE D’ANTIOCHE, Regalis dispositio, texte édité en annexe de
l’étude de Charles BURNETT, « Antioch as a Link between Arabic and Latin
Culture in the Twelfth and Thirteenth Centuries », dans Isabelle DRAELANTS,
Anne TIHON et Baudouin van den ABEELE (eds.), Occident et Proche-Orient :
Contacts scientifiques au temps des Croisades, Actes du Colloque de Louvain-la
Neuve, 24-25 mars 1997, Turnhout, 2000, pp. 1-78, (20-39, l’expression est à la
p. 29). La Dispositio date de 1127 et traduit le Kitâb Kâmil as-sinâ’a
d’al-Mağûsî (avant 977/8). 15 Pierluigi PIZZAMIGLIO, « Vita e opere
di Gerardo da Cremone secondo un antico memoriale », dans Pierluigi
PIZZAMIGLIO (ed.), Gerardo da Cremona, Actes du Colloque de Crémone, 22-23
octobre 1988, Crémone, 1992, pp. 3-7 (3). 16 Voir la notice qu’il est convenu
d’appeler la Vita, que les élèves et les proches de Gérard rédigèrent après la
mort de leur ami et maître, quelques quarante ans après le périple. Dernière
édition critique de la Vita et de ses annexes, Commemoratio librorum et
Eulogium, dans Charles BURNETT, The Coherence of the Arabic-Latin Translation
Programme in Toleto in the Twelfth Century, Berlin, 1997, pp. 20-33 (22). Ce
document ne nous informe pas sur la manière dont Gérard a pu se faire une si
haute idée du traité de Ptolémée en ne lui connaissant que la version arabe.
Tout se passe comme si cette idée était au XIIe siècle dans l’air du temps. 17
PIERRE ABELARD, Conférences. Dialogue d’un Philosophe avec un Juif et un
Chrétien et Connais-toi toi-même. Éthique, trad. par Maurice de Gandillac,
Paris, 1993 ; voir Jean JOLIVET, « Abélard et la philosophie »,
Revue d’histoire des religions, CLIV (1963), p. 181-189 repris dans son recueil
Aspects de la pensée médiévale : Abélard. Doctrines du langage, Paris,
1987. 18 PETRUS VENERABILIS, Schriften zum Islam, ed. Reinhold Glei,
Altenberge, 1985, p. 114. 19 Sur tout cela : René LOUIS et Jean JOLIVET
(eds.), Pierre Abélard et Pierre le Vénérable. Les courants philosophiques,
littéraires et artistiques en Occident au milieu du XIIe siècle, Actes du
colloque de l’Abbaye de Cluny, 2-9 juillet 1972, Paris, 1975, et notamment le
texte liminaire, « Lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse pour lui
annoncer la mort d’Abélard » et la section 2 de la 2e partie,
« Relations entre Pierre le Vénérable et Pierre Abélard ». 20 Max
LEJBOWICZ, « Développement autochtone assumé et acculturation
dissimulée » dans M. LEJBOWICZ (ed.),Les relations culturelles entre
chrétiens et musulmans au Moyen Âge, quelles leçons en tirer de nos
jours ? Actes du colloque organisé à la fondation Singer-Polignac le 20
octobre 2004, Turnhout, 2005, p. 57-78. 21 Voir la méconnaissance du Moyen Âge
grec, latin et arabe qu’étalent les comptes rendus du livre en question parus dans
Le Monde du 4 avril 2008 et Le Figaro du 17 avril 2008 ; celui qui est
paru dans Libération le 30 avril est plus prudent, sans être convaincant :
la connaissance du Moyen Âge ne peut pas être innée.
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 14 mai 2008