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Brève n° 108

 

Éloges du grec. II

Mireille Ko, Amélie Nothomb, Stanislas Dehaene

 

1. - "Amélie Nothomb, l’écriture est la vie", propos recueillis par Marie-Françoise Leclère, rubrique "Culture", 14/08/2008, lisible sur Le Point.fr

2. - Mireille Ko, "Doit-on encore enseigner les langues anciennes ?", entretien en ligne entre Mireille Ko, Professeur agrégé de lettres classiques et Pierre Flobert, Professeur émérite à l’Université de Paris-IV - Sorbonne.

3. - Stanislas Dehaene, "L’intérêt d’apprendre les langues anciennes", Canal Académie (mp3 en document joint)

 

Le Point : Pourquoi aviez-vous choisi de faire des études de philologie ?

A. N. : Pour Nietzsche, qui était philologue de formation. C’est très prétentieux de dire ça, mais c’est un auteur qui a terriblement compté pour moi, qui m’a donné mon identité. J’ai commencé par Le Crépuscule des idoles et je suis tombée sur cette phrase : "À l’école de la guerre qu’est la vie, ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts." Cette phrase a été un tel choc pour moi que j’ai lu toute l’oeuvre et opté pour la philologie, qui, en Belgique et en Allemagne, fait l’objet d’une agrégation particulière. En plus, ces études me convenaient parce que j’étais passionnée par le latin et le grec ancien. À 16 ans, je parlais latin.

 

Le Point : D’où venait ce goût ?

A. N. : Étant fille de diplomate, au fil des postes de mon père, au Bangladesh, en Asie du Sud-Est, je n’avais suivi que des cours par correspondance. J’avais donc pu choisir et approfondir mes matières favorites en toute liberté. Au risque d’apparaître comme une vieille réac, je suis consternée par la disparition de leur apprentissage dans les lycées et collèges. Pour moi, c’est une aberration. En tant qu’écrivain, je dois plus au grec ancien et au latin qu’à tout ce que j’ai pu étudier dans ma vie. C’est l’école par excellence de la syntaxe et de l’économie de langage. Les ruptures de construction, la concision, c’est là qu’on les apprend.

 

***

 

Eric PORTAIS L’intitulé du débat " faut-il encore enseigner les langues anciennes ? ", qui comprend le mot " encore " , fait penser que cet enseignement pourrait ne plus du tout être utile. Qu’en pensez-vous, Mireille Ko ?

Mireille KO On pourrait penser qu’à l’heure d’Internet, les langues anciennes n’ont plus leur place. Je pense, au contraire, que plus le progrès avance, plus on doit avoir des racines profondes dans le passé.

Pierre FLOBERT Je partage ce sentiment. Il n’est question que de racines, en Bretagne, au Pays basque, en Corse et ailleurs, ces mouvements comportant un risque de marginalisation. Par contre, le latin, qui a une visée universaliste, entraîne un regroupement.

Le fonds latin est commun à tous les pays d’Europe ; le latin est responsable d’une grande partie de la civilisation matérielle et intellectuelle de ceux-ci ; le latin est partout, et pas seulement dans les langues romanes. Le latin regagne des partisans grâce à la collectivité qu’il embrasse.

Eric PORTAIS Il n’en reste pas moins que le latin n’est pas immédiatement et concrètement utile pour l’entrée dans la vie active.

Mireille KO Nous constatons au collège que les enfants de 3ème qui étudient le latin ont en moyenne trois points de plus en français que les autres ; et, particulièrement, ceux qui sont issus de milieux défavorisés. Et le fait d’être meilleur dans la langue maternelle fait progresser dans toutes les matières, y compris les domaines techniques.

Eric PORTAIS Qu’en est-il des enfants des milieux plus favorisés ?

Mireille KO Leur environnement les aide : la famille parle un français plus soutenu, les emmène au théâtre, et voir des expositions. Les élèves des milieux défavorisés n’ont que l’école et le fait d’avoir deux ou trois heures de latin (ou grec) en plus leur donnent une assise supplémentaire.

Eric PORTAIS C’est donc une fausse idée que de dire que l’enseignement des langues anciennes est réservé à une élite.

Pierre FLOBERT Cela n’a jamais été le cas. Dans les classes de latin et de grec, se trouvent des élèves curieux d’esprit. Certains exercices sont excellents pour l’acquisition de la langue, non seulement l’étude de l’étymologie, mais aussi l’exercice de la version. Il faut avoir fait une version latine pour se rappeler les affres du style. L’étude des langues modernes vise à apprendre aux élèves à penser directement dans la langue alors que l’étude des langues anciennes améliore essentiellement le français.

Eric PORTAIS Les enfants d’origine étrangère font-ils aussi des découvertes concernant leur histoire et leur culture ?

Mireille KO Les petits maghrébins découvrent que leur pays a fait partie de l’empire romain en même temps que la Gaule. Ils s’aperçoivent qu’il y a beaucoup de vestiges archéologiques venant des Romains en Afrique du Nord. Brusquement, nos élèves de banlieue, que je trouve très déracinés et amnésiques, retrouvent une partie de leur mémoire.

Eric PORTAIS Combien d’élèves apprennent-ils le latin aux Lilas ?

Mireille KO Mon collège est unique aux Lilas. Nous avons 100 élèves en latin en 5ème. Nous avons décidé de ne pas leur permettre de " zapper " et, s’ils optent pour le latin, ils ne peuvent pas abandonner jusqu’à la 3ème. En 3ème, nous avons 32 élèves en grec.

Pierre FLOBERT Je suis d’accord avec la décision prise dans ce collège de ne pas autoriser l’abandon au cours des premiers mois. Il faut du temps pour se rendre compte de ce que ces études vous apportent. La langue latine a des structures grammaticales extrêmement différentes du français : l’ordre des mots jouit d’une grande liberté parce que les mots sont caractérisés par leurs désinences. Les enfants doivent apprendre à changer de type linguistique et cela prend du temps.

Mireille KO C’est en effet une très grosse difficulté pour les élèves. Il faut être patient et répéter.

Eric PORTAIS J’ai des souvenirs d’enseignement du latin très ennuyeux. Pourquoi a-t-on gardé cette image rébarbative ?

Mireille KO Il y a deux raisons. Traditionnellement, on enseignait la grammaire très longuement avant d’en arriver au texte ; un peu comme on apprend le solfège avant de commencer un instrument de musique. La deuxième raison tient au choix des textes. On expurgeait les textes, on ne choisissait que les textes édifiants qui décrivaient des personnages très moraux (les exempla). Martial, qui est beaucoup plus drôle, était exclu. Nous avons choisi de travailler tout autrement et de proposer des textes qui peuvent intéresser les élèves. Mes élèves ont servi de cobayes au choix de textes que je propose dans mon livre. Ils sont très coopératifs alors que ce sont des enfants d’origine tout à fait modeste.

Pierre FLOBERT Je ne suis pas du tout hostile à l’apprentissage de la grammaire. Certains professeurs se font adorer en récitant des paradigmes. On peut intéresser les élèves de multiples façons. En 5ème, mon professeur était le Président Senghor. Il nous passionnait. Il nous a conseillé à tous de faire du grec en disant que c’était le grec qui lui avait sauvé la vie. Prisonnier en 40, un officier l’avait surpris à lire Platon dans le texte et il était devenu de ce fait un personnage à part.

Eric PORTAIS Qu’est-ce qui motive la centaine d’élèves de votre collège à choisir le latin ?

Mireille KO C’est assez paradoxal. Nous passons dans les classes de 6ème et nous leur présentons quelques vers de Phèdre, par exemple " Le loup et l’agneau ". Nous leur expliquons en quoi consiste l’option. Nous insistons sur le fait qu’ils ne pourront pas abandonner et qu’ils auront du travail (deux heures de cours par semaine et des leçons à apprendre). Cette année, on n’a jamais eu autant de demandes. Cela prouve bien que les élèves ont envie d’apprendre.

Eric PORTAIS Par contre, vous indiquiez que les parents des classes favorisées n’incitent pas leurs enfants à étudier les langues anciennes, pensant que leur environnement suffira à l’acquisition d’une culture générale.

Mireille KO Je pense que c’est une erreur. Ils s’apercevront que des enfants de milieu modeste auront acquis un fonds culturel plus important grâce aux langues anciennes.

Eric PORTAIS Au moment où l’Europe se construit, ne faudrait-il pas insister sur l’histoire de tous ces peuples plutôt que de mettre l’accent sur cette langue qui est morte ?

Pierre FLOBERT Le latin n’est pas une langue morte puisque nous parlons encore le latin. A la fin du Moyen Âge, il y avait en Europe une langue savante écrite et apprise dans des grammaires qui s’éloignait beaucoup de l’usage courant. Mais tous ces ecclésiastiques et ces littéraires ne pratiquaient pas un latin stéréotypé et avaient leur style personnel. C’était un latin qui a évolué et a exercé une très grosse influence jusque chez les humanistes. Il faut nuancer le caractère inerte qu’on attribue au latin après l’émergence des langues vernaculaires.

Eric PORTAIS Vous vous alarmez dans votre ouvrage d’une tendance à ce que les langues anciennes ne soient plus enseignées que dans les établissements privés.

Mireille KO La tendance dans les Ministères précédents était à la suppression des options de langues anciennes. Je fais partie d’associations qui luttent contre cette tentation. Je pense que ce serait bien plus élitiste de réserver cet enseignement à des écoles privées qui seraient des écoles sans contrat et, donc très chères. La sélection deviendrait essentiellement financière.

Eric PORTAIS Etes-vous très en colère quand vous entendez qu’on autorise l’enseignement du breton et du corse ?

Mireille KO L’enseignement du latin et du grec est universel, fédère et donne des liens entre les communautés alors que l’enseignement des langues régionales parcellise. Ceci peut représenter un danger, si on se réfugie dans une identité de plus en plus étroite. Ceci dit, l’étude des langues régionales peut aussi être intéressante mais je pense qu’on ne peut pas mettre les deux enseignements sur le même plan.

Pierre FLOBERT Je suis tout à fait d’accord. Le latin est tout de même l’organe d’une magnifique civilisation alors que je ne sais pas s’il existe beaucoup de littérature corse. Les bons écrivains bretons ont écrit en français, comme Per Jakez Hélias. Pour moi, ce serait un désastre d’imposer l’étude des langues régionales aux enfants qui ne le désirent pas.

Eric PORTAIS On sent une petite divergence entre vos deux opinions. Mireille Ko, vous pensez que l’étude des langues régionales peut être un apport culturel.

Mireille KO Je pense que localement c’est un apport linguistique intéressant. Mais la grande différence avec les langues anciennes est l’absence de littérature et de culture. En tant qu’enseignant, nous essayons de transmettre à nos élèves, avec de nouvelles méthodes, la littérature et la civilisation romaine ou grecque.

Eric PORTAIS En quoi consistent ces nouvelles méthodes ?

Mireille KO Dès le premier cours de latin ou de grec, nous partons de textes authentiques, non expurgés.

Eric PORTAIS Quelles sont les relations que vous établissez avec les autres enseignants du collège ?

Mireille KO Beaucoup de chemin reste à parcourir. La plupart des enseignants gardent le souvenir de leurs propres études de latin au cours desquels peu de liens entre la langue et la civilisation étaient proposés. On pouvait traduire des récits de bataille sans savoir qui se battait contre qui ! Maintenant, on propose un texte qu’on situe dans son contexte. Il y a une ouverture vers la littérature et la culture. Chaque élève y trouvera son blé à moudre : celui qui est intéressé par la langue tout autant que celui qui, rebuté par les déclinaisons, s’intéressera à d’autres aspects.

Eric PORTAIS On chiffre le nombre de latinistes à un demi-million.

Pierre FLOBERT C’est une énorme clientèle, si on peut employer ce terme un peu vulgaire. Il y a de multiples façons d’intéresser les étudiants. C’est la mort de tous les stéréotypes et de tous les récits de bataille ennuyeux. On constate un renouvellement des textes latins : tout le théâtre comique est extrêmement drôle, la langue de Plaute n’est pas très difficile, les lettres de Cicéron sont plus intéressantes que ses réflexions sur l’immortalité de l’âme ; Horace est aussi très amusant, certains passages de Virgile sont pleins d’humour ; le combat d’Hercule et de Cacus, proposé par Mme Ko dans son livre, est très comique.

Eric PORTAIS Les enfants qui n’ont pas choisi le latin rencontrent-ils des difficultés dans les autres matières ? en histoire, géographie, pour les langues étrangères ?

Mireille KO Je pense que le latin est surtout très utile pour les langues étrangères. Nous sommes en quelque sorte le dernier bastion de la grammaire. Nos élèves ont des bases de grammaire qui les aident dans l’apprentissage de toutes les langues.

Eric PORTAIS Vous m’avez presque convaincu. Comment n’avez-vous pas réussi à convaincre le Ministère de rendre obligatoire l’enseignement des langues anciennes ?

Mireille KO L’histoire du XIXème siècle est un mouvement pendulaire entre les gens de gauche qui enlèvent le latin et les gens de droite qui le remettent. L’image du latin et du grec, comme réactionnaires, appartenant à la droite, reste fortement ancrée. Il faut sortir de ce manichéisme un peu stupide. En Grèce, l’enseignement du grec ancien a été supprimé car il était associé à la prise de pouvoir par les colonels. Mais on commence à regretter cette suppression.

Eric PORTAIS Le latin était associé à la " droite catho ". L’abandon du latin par l’Eglise a-t-il accéléré le déclin ?

Mireille KO Non, je crois que l’association Eglise/latin/partis de droite a fonctionné depuis le XIXème comme une espèce d’emblème.

Pierre FLOBERT Je voudrais défendre l’Eglise qui n’a pas toujours été réactionnaire au XIXème siècle. Il y avait des Lamennais, des Lacordaire, un catholicisme social et libéral.

Je voudrais préciser également que les textes ont été nettoyés de leurs aspects sensuels pas seulement sous la pression de l’Eglise. Pour ma part, j’ai rétabli dans le Gaffiot, tous les mots peu convenables qui auraient fait hurler les latinistes du XIXe siècle.

Eric PORTAIS Donnez-nous des exemples.

Pierre FLOBERT Paedicare, courir après les petits garçons, avait été supprimé du dictionnaire, ainsi que tout le vocabulaire concernant les organes sexuels. L’Eglise ne peut pas porter seule le chapeau de l’expurgation des textes. Vous connaissez sans doute un souvenir de Chateaubriand qui nous fait part des délices éprouvés en comparant un texte expurgé et un texte non expurgé d’Horace !

Eric PORTAIS Ressentez-vous une désaffection identique pour l’enseignement du français ?

Mireille KO Peut-être pour l’enseignement de la littérature. Oui et non, car les instructions que nous recevons sont extrêmement ambitieuses. Mais il y un grand fossé entre les exigences requises et ce qu’on arrive à faire avec les élèves qui sont en face de nous.

Eric PORTAIS Les études qui ont été présentées au Café de l’Ecole montrent une demande accrue de la société pour que l’école soit utile lors de l’entrée dans la vie active. Comment s’inscrit l’enseignement des langues anciennes dans l’évolution des missions de l’école ?

Mireille KO Ma réponse est issue de ce que j’appelle " la pédagogie du détour " : ce n’est pas en allant directement d’un point à un autre qu’on gagne du temps. C’est bien souvent le contraire : c’est plutôt en faisant un très long détour, par exemple, dans le temps avec le latin. Je pense qu’on a besoin de prendre une distance par rapport au quotidien pour le comprendre en profondeur. Je crois aussi qu’on est toujours trop pressé. On a dit que le latin ne peut s’apprendre en une année : il faut admettre que les connaissances profondes et solides s’acquièrent en plusieurs années.

Eric PORTAIS Les enfants ont-ils le temps d’apprendre les langues anciennes compte tenu de toutes les nouvelles matières qui ont été intégrées aux programmes ?

Mireille KO Les enfants ne nous ressemblent pas. Quand ils travaillent à l’école, ils travaillent pour eux. Ils ont une capacité de mémorisation extraordinaire, une curiosité insatiable. Il faut en profiter.

Pierre FLOBERT Il faut utiliser les dons des jeunes pour leur faire apprendre très vite les paradigmes, en 6ème et en 5ème. La grammaire est indispensable. J’utilisais la méthode suivante : nous groupions les expressions latines qu’on retrouve en français (bonus, sine qua non, lavabo, récépissé, …) et nous les resituions dans la grammaire latine.

J’utilisais également les " doublets " que j’ai donnés dans la partie étymologique du nouveau Gaffiot : grêle à côté de gracile (gracilis), raison et ration (ratio), sevrer et séparer (separare), etc.

Eric PORTAIS L’enseignement des langues anciennes vous paraît à tous deux une entrée indispensable à la culture. Par contre, j’ai un peu le sentiment que vous divergez sur les méthodes.

Pierre FLOBERT C’est bien normal car Madame Ko est très littéraire et moi je suis très grammairien. Au fond, il n’y a pas de pédagogie obligatoire. Chacun travaille avec ses qualités et avec ses goûts.

Mireille KO C’est vrai que nous avons beaucoup réfléchi dans nos collèges de banlieue afin d’éviter la fuite des élèves. En définitive, l’enseignement choisi peut paraître plus difficile, alors qu’il est destiné à des enfants qui sont plus en difficulté. On part de textes authentiques, qui sont intéressants pour les élèves. Les textes fabriqués ne servaient que pour la grammaire. Nous essayons au contraire d’être des hommes-orchestre : dans le même cours, nous développons une partie grammaticale (très exigeante), une partie civilisation, vocabulaire, littérature, étymologie.

Pierre FLOBERT J’étais féroce quand des étudiants de 1ère année à la faculté m’avouaient ne pas maîtriser les bases de la grammaire. Je pense donc qu’elles doivent être apprises très tôt. Mais la littérature latine n’a pas été assez exploitée. Le roman " le Satyricon " est tout à fait racontable.

Question de la salle Je suis enseignant de langues anciennes au lycée et je présenterai un tableau beaucoup plus pessimiste. Le latin, et le grec, sont doublement morts. Vous avez fait état de chiffres qui concernent le collège. Or, les élèves abandonnent les langues anciennes dès leur entrée au lycée. Les horaires d’enseignement du latin et du grec au lycée ne peuvent que décourager les élèves. Enfin, je ne pense pas que, si on veut apprendre la langue, on puisse faire l’économie de la grammaire. Le latin sans larmes, je n’y crois pas.

Mireille KO Il y a en effet une différence très importante entre les collèges, dans lesquels les conditions favorables à l’enseignement sont généralement réunies, et les lycées, où les élèves subissent une pression très forte pour abandonner les langues anciennes. Les horaires sont dissuasifs. Je n’oppose pas la civilisation et la langue. Je pense que c’est une erreur grave de faire l’un ou l’autre. Il faut faire les deux, au même niveau. Je fais apprendre les déclinaisons, croyez-moi. Je suis intraitable. Mais on ne peut pas savoir décliner consul sans savoir ce que c’est qu’un consul. Et vice versa.

Intervention de la salle Je suis enseignante en collège. Et je fais partie des tortionnaires parce que je viens d’avoir cours entre midi et une heure : mes élèves n’ont pas pu manger.

Eric PORTAIS Vous nous avez dit que ce sont les enseignants eux-mêmes qui découragent les élèves quand ils arrivent au lycée.

Pierre FLOBERT Ce sont plutôt les horaires qui découragent les élèves . Les responsables sont l’Administration et toutes les matières (mathématiques, physiques, informatique) qu’on fait miroiter aux yeux des adolescents. Or, dans la vie active, ils devront surtout être capables de rédiger.

Intervention de la salle Dans mon collège, les parents se sont mobilisés et ont écrit à l’Inspecteur d’académie pour protester contre le fait qu’une vingtaine d’élèves volontaires n’avaient pas pu étudier le latin, faute de moyens.

Eric PORTAIS Monsieur le Professeur du lycée, devez-vous vous battre contre l’Administration pour faire reconnaître leur place aux langues anciennes ?

Intervention de la salle Tout à fait. Si j’étais méchant, je dirais qu’il y a une volonté politique qui dissuade les jeunes de faire du latin. Le latin, ça fait réfléchir et on n’a pas besoin de citoyens qui réfléchissent.

Eric PORTAIS Ce que vous dites est terriblement angoissant. Pour vous, c’est une façon de maîtriser la "masse".

Mireille KO La tendance à l’autonomie des établissements me paraît très insidieuse. Le chef d’établissement décide si, dans son collège ou dans son lycée, un élève pourra ou non faire du latin,. La place donnée aux langues anciennes devient une question de rapports de force local et dépend désormais des convictions personnelles d’un chef d’établissement. Ceci me semble très hypocrite.

Intervention de la salle Je me suis aperçu qu’en Lettres modernes, on demande un niveau de latin très élevé. En outre, je voulais ajouter que le latin est une langue très structurée : son apprentissage forme à une gymnastique de l’esprit qui sera acquise définitivement.

Intervention de la salle J’ai trois remarques à ajouter. Quand Claude Allègre était prêt à supprimer les options de latin et de grec, mes élèves de seconde en grec étaient prêts à faire une pétition pour s’y opposer. Par ailleurs, j’ai coutume de dire que le latin ou le grec, c’est comme la corde à sauter du boxeur. Elle ne permet pas de lancer des uppercuts immédiats mais elle produit un assouplissement nécessaire du corps. Enfin, dans mon cours, j’essaie de mettre en perspective immédiate ce qu’on apprend en latin avec la vie qu’on vit tous les jours. En ce moment, nous étudions la passion de Didon pour Enée et je suis sûre que l’amour n’a pas changé depuis 2 000 ans.

Mireille KO L’obstacle le plus important vient de l’Administration parce que les élèves, à partir du moment où on leur parle " vrai ", en ne leur dissimulant pas les difficultés, sont tout à fait convaincus de l’utilité d’étudier les langues anciennes.

Pierre Flobert Les langues anciennes qui ouvrent la voir à des civilisations brillantes et permanentes passionnent les élèves. Est-ce trop demander aux professeurs que de manifester autant d’enthousiasme ?

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 5 septembre 2008

 

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