Brève n° 147
Jacqueline de Romilly & Monique Trédé, Petites leçons sur le grec ancien
Jacqueline de Romilly, Monique Trédé, Petites leçons sur le grec ancien, Stock, octobre 2008, ISBN 13 (EAN) : 978-2-234-06181-1, 15,50
€
Présentation
de l’éditeur
Inspirer
le désir de découvrir la langue qui a contribué à l'éclat de la littérature
grecque antique, tel est le souhait des auteurs de ce livre. Au cours de ces
huit leçons autour du grec ancien, le lecteur comprendra mieux aussi pourquoi
cette langue est, aujourd'hui encore, à la base de nos classements
intellectuels et forme le noyau du vocabulaire scientifique de l'Europe.
Présentation
des auteurs
Jacqueline de
Romilly, membre de l’Académie française, professeur de grec ancien, est l’auteur
de très nombreux ouvrages dont les plus récents, Les Roses de la solitude,
Le Jardin des mots et Le Sourire innombrable, ont connu un
vif succès. Agrégée de l’Université et docteur d’État, Monique Trédé dirige le Centre
d’études anciennes de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Elle est
notamment l’auteur d’une Histoire de la littérature grecque.
Compte
rendu par Pierre Assouline : « D’un chant d’amour au grec ancien »,
billet du 30 octobre 2008 sur son blog
Encore, elle remet
ça ? Parfaitement. Cela dure depuis une demi-siècle et ça ne s’arrêtera qu’avec
sa disparition. Car même privée de la vue, Jacqueline de Romilly poursuit son
inlassable propagande pour la culture grecque. Ce qui s’appelle enfoncer un
clou. Dans le bonheur du commerce intime avec ce que la pensée a produit selon
elle de plus noble pour l’esprit, dans la souffrance de le clamer dans le
désert et l’indifférence, avec la colère qui s’ensuit. Sauf que cette fois,
celle qui fut la première femme professeur au Collège de France a légèrement
changé son fusil d’épaule. Au lieu d’en appeler au sauvetage d’un enseignement
des humanités au bord de l’abîme, elle chante haut et fort la grandeur de la
langue grecque. Aidée de Monique Trédé, qui dirige le Centre d’Etudes anciennes
de l’École Normale Supérieure, Jacqueline de Romilly pousse à nouveau son cri
de guerre sous forme de chant d’amour dans Petites
leçons sur le grec ancien (176 pages, 15,50 euros, Stock). La lecture en est
passionnante car fluide, légère, ailée même. On en oublierait la densité du
propos. D’autant que les auteurs ne résistent pas au plaisir de moquer les
précieux ridicules, ces pédants et faux-savants des médias et d’ailleurs, qui
mettent par exemple de la “problématique” (art de poser les problèmes) à toutes
les sauces, là où “problème” suffit amplement.
Tout pour la langue.
Ce qui ne fut pas toujours le cas dans l’abondante bibliographie de
l’helléniste, plus souvent consacrée à Thucydide, au pathétique dans la
tragédie ou à la modernité d’Euripide. J’en ai surtout retenu un chapitre sur
la faculté du grec ancien à inventer des mots ou à en composer en les dérivant
et en leur adjoignant des préfixes et des suffixes dotés d’une valeur précise.
Deux exemples valent d’être rapportés car il s’agit, d’après les auteurs, de
deux termes crées par Platon mais oubliés par nos dictionnaires contemporains.
“Timocratie” tout d’abord, forgé à partir de “timé” (marque d’honneur) : ainsi
désignait-on un régime où ceux qui recherchaient avant tout les honneurs
commandaient (La République, 545, B). ”Théâtrocratie”
ensuite, qui fait penser à la société du spectacle de Guy Debord, mais c’est un
faux-semblant. Il s’agit plutôt d’une démocratie où tout le monde se croit
compétent sans avoir rien appris, du théâtre comme des autres disciplines ;
ceux qui en sont en tirent le plus souvent une assurance qui les mène à
l’impudence; dès lors ils se croient tout permis, refusent l’autorité, les
lois, le serment, l’engagement… (Les Lois, 701a3).
“Timocratie” et
“Théâtrocratie” sont effectivement deux mots introuvables de nos jours. Dans
les dictionnaires. Car dans la vie, les réalités qu’ils recouvrent sont
aveuglantes et assourdissantes. Il serait peut-être temps d’accorder les uns
avec les autres. Grâces soient rendues à Jacqueline de Romilly qui oblige la
masse des oublieux à payer la dette de notre culture à la Grèce ancienne.
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 5 NOVEMbre 2008