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Brève n° 159

 

Il écrivait de la poésie en latin ou en grec ancien

 

Julie Rémy, « Prix André-Laurendeau : C'est l'ignorance qui amène l'intolérance. », Le Devoir, mercredi 22 octobre 2008

 

Robin Yates est un pionnier de l'histoire de la Chine ancienne.

Bien qu'il se définisse comme un pacifiste, l'historien Robin Yates est reconnu comme un spécialiste de l'art militaire chinois.

Venu d'Oxford, après une jeunesse vécue en France et un passage par les universités américaines, ce professeur de l'université McGill est reconnu comme un des plus grands experts du monde en antiquité chinoise. Robin Yates reçoit le prix André-Laurendeau, qui souligne le travail de ce messager entre l'Orient et l'Occident.

Robin Yates est né à Oxford il y a 60 ans. Il a grandi entre l'école où son père enseignait les mathématiques et la maison familiale dans le sud de la France où il passait tous ses étés. Le jeune Robin a donc baigné dans un environnement francophile où la culture du savoir était prédominante.

Passionné par les langues anciennes, il écrivait de la poésie en latin ou en grec ancien, ce qui l'a beaucoup aidé par la suite lorsqu'il a dû déchiffrer et traduire d'anciens textes chinois. Mais son premier contact avec la Chine ? C'est lorsque le professeur de français de son frère, au vu de ses résultats médiocres, l'a encouragé à apprendre le chinois ! Plus sérieusement, il a vraiment eu la piqûre en lisant un livre d'archéologie traitant de la Chine et du Moyen-Orient.

 

Renaissance chinoise

 

Incidemment, c'est grâce aux découvertes archéologiques majeures de ces 30 dernières années que Yates, avec une poignée d'autres historiens, a fait reconnaître sa discipline à la fois dans le milieu universitaire et auprès du grand public. Auparavant, l'histoire de la Chine ancienne était considérée comme «quasi anecdotique», indique M. Yates.

L'historien, reconnu comme un des plus grands experts du monde en antiquité chinoise, préside la Society for the Study of Early China, qui est l'unique organisation internationale consacrée à l'étude de la Chine ancienne (du néolithique jusqu'à la fin de la dynastie Han, en 220 après J.-C.). Il est également le directeur de la rédaction de la revue Early China, la plus importante publication dans le domaine.

« L'archéologie chinoise nous fournit des preuves matérielles et des textes nous permettant de comprendre la vie et le mode de pensée des gens ordinaires lors de la fondation de l'empire chinois, soit aux IVe, IIIe et IIe siècles avant J.-C. Chaque année, de nouvelles découvertes bouleversent ce que nous croyions savoir sur la Chine ancienne. Malheureusement, il n'y a pas assez de chercheurs occidentaux actifs dans ce domaine, déplore-t-il. Le plus triste, c'est qu'à McGill nous manquons cruellement de financement pour retenir nos doctorants. C'est dommage. »

Le lauréat du prix André-Laurendeau explique en quoi sa démarche est originale: «La plupart des chercheurs, que ce soit en Asie ou en Occident, s'intéressent à la philosophie, mais il est vraiment capital de replacer la philosophie dans son contexte social et culturel. Ainsi, presque tout le monde étudie la Chine ancienne à partir du point de vue de l'élite, qui est forcément masculine, alors que, selon moi, il est absolument nécessaire de comprendre tous les aspects de la société, en particulier le peuple et les femmes. J'aime adopter un autre point de vue sur les choses», dit-il.

 

Poésie et art militaire

 

Lorsque ce pionnier de l'histoire chinoise était à l'Université d'Oxford, il n'y avait que six étudiants dans sa classe de chinois. C'était en 1968 et la Révolution culturelle faisait rage au pays de Mao. Pourtant, Yates n'hésitait pas à s'engager au sein de la Tibet Society d'Oxford, tandis que son frère venait en aide aux réfugiés tibétains en Inde.

Après Oxford, Robin Yates a étudié dans les plus prestigieuses universités américaines: Berkeley, puis Harvard, où il passe son doctorat en histoire chinoise en 1980. Il publie en 1988 son premier ouvrage, consacré au poète antique Wei Chuang (834-910). Au milieu de son petit bureau chargé de livres du sol au plafond, M. Yates se souvient de la traduction qu'il a faite d'un long poème de Chuang racontant les ravages de la guerre, les pillages et les viols.

« Le génie de Wei Chuang a été d'écrire son poème du point de vue d'une femme attaquée par les rebelles qui envahissent la ville », dit-il. Les lamentations de la dame de Qin, précise-t-il, ont été bannies par la suite mais ont été retranscrites par des moines copistes. Le poème a été retrouvé à la fin du XIXe siècle dans des grottes bouddhiques situées au beau milieu du désert de Gobi. M. Yates a basé sa traduction sur les copies manuscrites conservées au British Museum de Londres et à la Bibliothèque nationale de Paris.

Bien qu'il se définisse comme un pacifiste, l'historien est surtout reconnu comme un spécialiste de l'art militaire chinois. Son deuxième ouvrage, Science and Civilisation in China, Military Technology: Missiles and Sieges, cosigné avec l'éminent sinologue Joseph Needham, est cité comme une oeuvre de référence incontournable. La maison d'édition Cambridge University Press lui a d'ailleurs commandé un autre livre sur la science militaire ainsi que le premier volume d'une série intitulée Cambridge History of War.

« Dans cet ouvrage sur l'histoire de la guerre, auquel je collabore avec un chercheur suisse, nous essayons de montrer que la façon de concevoir la guerre et la paix dans l'Antiquité est toujours d'actualité aujourd'hui, dit-il. On ne peut pas comprendre les raisons qui mènent à la guerre et comment y mettre fin si on ne comprend pas ce qu'est la guerre et comment elle se déroule. » Grâce à la découverte de textes juridiques et administratifs lors de récentes fouilles archéologiques, l'historien a pu raffiner ses recherches sur l'organisation sociale lors de la fondation de la Chine impériale. Il cite par exemple le cas de femmes esclaves qui essayaient de profiter du contexte de la guerre civile pour se libérer de leur statut.

 

Entre passé et présent

 

M. Yates, qui se trouvait en Chine à l'époque, a été impressionné par la solidarité des Chinois et leur mobilisation spontanée lors du séisme qui a eu lieu dans la province du Szechuan en mai dernier. « En tant qu'historien, je pense que la façon dont les gens ont réagi au séisme sera beaucoup plus importante que les Jeux olympiques pour le développement d'un esprit d'appartenance. Je crois que c'est très dur pour les Occidentaux de comprendre comment les Chinois se sentent après un siècle d'humiliations de la part des pays de l'Ouest », dit M. Yates.

« Mon travail comme historien est de redonner une vie au passé, d'amener du respect et de l'empathie afin de ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé. C'est l'ignorance qui amène l'intolérance, et on a tendance à craindre ce que l'on ne connaît pas. »

C'est pourquoi Robin Yates tient à encourager le partage des ressources et du savoir, que ce soit au sein du monde de l'éducation ou auprès du public. Il collabore à de nombreuses émissions télévisées sur la Chine et il se souvient avec bonheur de l'exposition Xi'an, capitale éternelle, présentée en 2002 au Musée de la civilisation de Québec. «J'ai été très honoré de participer comme conseiller scientifique à l'organisation de cette exposition, qui a attiré près de 300 000 visiteurs», dit-il. Plus de 130 artefacts découverts dans des tombeaux sur les sites de palais et de temples de Xi'an et des environs ont été exposés pour raconter l'histoire de la capitale antique et de la Chine. « C'était fantastique, mais j'ai été déçu par les médias anglophones de Montréal, qui n'ont jamais couvert l'événement. »

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 16 NOVEMbre 2008

 

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