Luc Ferry offre la mythologie grecque à ses filles
Article
de Jean-François Fournel dans La Croix, 2 décembre 2008
Dans son dernier ouvrage, le philosophe et
ancien ministre de l’éducation nationale raconte à ses filles la mythologie
grecque, bien plus puissante à ses yeux que les dessins animés japonais ou les
contes de fée traditionnels.
Elles
s’appellent Louise et Clara, elles ont 8 et 9 ans et leur père, philosophe,
écrivain et ancien ministre de l’éducation nationale, leur raconte tous les
soirs des horreurs. Les petites Ferry se délectent des meurtres et autres
trahisons dont fourmille la mythologie grecque. Cet homme de 57 ans serait-il
tombé sur la tête ?
«
Voyez les histoires de sorcières ou les contes de Grimm, s’amuse-t-il. Les
enfants adorent les histoires horribles, surtout quand elles sont racontées par
leurs parents. Je pense que leur raconter les grands textes est le plus beau
cadeau qu’on puisse leur faire, le meilleur moyen de leur faire prendre de la
distance vis-à-vis de la consommation, du zapping, des stupides dessins animés
qu’on leur inflige. Noël approche. Quel parent n’a constaté avec regret que les
jouets, aussitôt ouverts, étaient aussitôt négligés ? Moi, j’ai voulu offrir à
mes filles ce livre plein d’histoires qui durent ».
Vieilles
de plusieurs millénaires, ces légendes trouvent un écho dans notre vie de tous
les jours. Ulysse, par exemple, voilà un héros pressé de rentrer chez lui après
avoir gagné la guerre de Troie, et qui trouve la force de résister à
l’alléchante proposition d’immortalité d’une déesse qui veut le garder auprès
d’elle. Traduction philosophique de Ferry : « Une vie de mortel réussie est
préférable à une vie d’immortel ratée. »
Idem
avec le mythe d’Œdipe que les psychanalystes ont trop réduit, selon lui, à la
pulsion des petits garçons de tuer leur père et d’épouser leur mère. « Œdipe
tue son père et épouse sa mère, sans savoir qu’ils étaient son père et sa mère.
Il paie en fait les errements de ses parents, ce n’est pas lui qui est
responsable. En langage familier, le mythe d’Œdipe devient : les parents
boivent, les enfants trinquent. »
Du temps pour les
siens
Tout cela
serait de l’ordre de l’aimable causerie si Luc Ferry n’avait décidé de mettre
ces préceptes en pratique dans sa vie familiale. « Je consacre le plus de temps
possible aux miens, car c’est de très loin le plus important pour moi. En
dehors de mes années comme ministre (j’ai expliqué à mes filles que ça voulait
dire “petit serviteur” en latin, pour les dissuader de se vanter), je n’ai
jamais eu ni patron, ni horaires imposés. Le métier d’écrivain me donne la
liberté d’être disponible et fidèle à moi-même tout le temps, pas seulement au
mois d’août comme beaucoup de pères. »
La
famille. Un thème cher au philosophe qui y a consacré pas mal d’ouvrages, dont
un retentissant Familles je vous aime (par opposition au célèbre Familles
je vous hais, d’André Gide). Pour lui, nous sommes entrés dans l’ère de
l’amour choisi. Donc, « il ne faut pas regretter le temps où on ne divorçait
pas, pour des raisons économiques, sociales ou religieuses, au prix de beaucoup
de mensonges, de souffrances parfois… L’invention récente du mariage d’amour
induit aussi celle du divorce. Une séparation est toujours une souffrance, un
échec, mais elle est parfois nécessaire. Moi-même, j’ai énormément souffert
d’avoir divorcé. Si j’avais pu l’éviter, je l’aurais évité, mais je ne le
regrette pas. »
(1)
Apprendre à vivre
(2)
La Sagesse des mythes, par Luc Ferry , Éd. Plon, 394 p.,
20,90 €.
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 10 DÉCEMbre 2008