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Brève n° 168

 

Ces mots grecs qu’en latin jadis on traduisait

 

Pudenda muliebria

 

Je relève d’abord un mot à l’étymologie mystérieuse pour tout autre qu’un les égyptologue : βούβαστις, désignant le pubis (Dict. Étym. de la Langue Grecque). Et un autre où les labiales sont requises : βάμβαλον, « καὶ τὸ αἰδοῖον, Φρύγες » (Hesych.).

 

1. Plantes

 

L’analogie terrienne est présente dès τὸ τρύπημα, « le trou » que seule possède la femme.

Pour planter le décor, nous avons ὁ κῆπος « le jardin », joliment glosé par un dictionnaire hortus muliebris, et τὸ νέμος « le petit bois ». Bois profond si l’on en juge par βαρύκα, αἰδοῖον παρὰ Ταραντίνοις (Hesych.).

Dans ce bois nous trouvons ἡ κνέωρος, sorte de daphné (arbrisseau aux fleurs précoces et odorantes, découpées de quatre lobes réguliers) qui provoque des démangeaisons (Hesych. et Phot.).

Dans ce bois nous trouvons un fruit bien grec : τὸ σῦκον « la figue » pour dire la vulve (ainsi Aristophane dans La Paix), mais aussi ἡ μύρτος « le myrte », son diminutif ὁ μύρσινος « le petit myrte », son fruit τὸ μύρτον « la baie de myrte », ce qui est prétexte à métaphore : τὰ μυρτόχειλα, αὶ μυρτοχειλίδες « lèvres de myrte », selon LSJ : labia majora pudendorum (cf. αἱ ἐσχάραι, « les bords »). Si vous préférez le grec, eh bien son nom médical est ἡ κλειτορίς : qui a dit que le latin est plus facile que le grec ?

Si le lieu est un potager, sachez qu’y pousse τὸ σέλινον, facile à traduire puisque le mot français lui ressemble : le céleri (Phot.). On passe même de la plante à la coupe des cheveux ou de la barbe avec σάβυττος (Hesych., Phot.) et ὁ καῦκος.

 

2. Animaux

 

Sur terre nous trouvons : ὁ χοῖρος, ὁ ὗς « le porc » (cf. le jeu de mot salace d’Aristophane sur χοῖρος quand il nous présente un père vendant ses filles au marché en leur faisant crier γρῦ γρῦ) ; les diminutifs hypocoristiques ὁ ὕσσαξ (Aristophane, Lysistrata), ὁ ὕσσακος (Ar. Lys.), τὸ ὕειον, ὁ δέλφαξ (étymologie inconnue) « le porcelet » ; ὁ κέλης « le cheval de course » (relevé par Eustathe ; un deuxième sens fait peut-être image, qui désigne un petit vaisseau léger à un rang de rames).

Dans les airs : désigne τὸ ἄκρον τοῦ αἰδοίου (Souda) ἡ κορώνη « la corneille » (c’est aussi la « rondelle » sur le joug de l’attelage) et ἡ χελιδών « l’hirondelle », et, encore plus petit, ἡ τιτίς « petit oiseau gazouillant ». mais rien n’est sûr concernant ces gazouillis : l’antonyme ὁ μυττός (« le muet ») menace l’amant…

Dans les eaux, à ἡ ἄρκηλα « le hérisson » est parfois préféré ὁ βρύσσος « le hérisson de mer » servant à désigner le « pubis », dont le nom scientifique est τὸ ἐπίσιον chez Aristote. Quant à ὁ κτείς, c’est une espèce de bivalve nommée « le peigne » et désignant « le pubis » selon Bailly, « la vulve » dans Bachofen (das Mutterrecht) ; pour éviter une nouvelle guerre franco-allemande, disons que c’est notre « moule » (de toute façon, la collection Budé traduit « la frange » ; Anth. Pal. V, 132). Le pubis est parfois plus dangereux : ὁ σπατάγγης, sorte d’oursin figurant le sexe de la femme chez Aristophane (fr. 409).

 

3. Objet manufacturé

 

Le grec n’est guère original : ὁ σάραβος (LSJ), τὸ σάραβον (LSJ), ἡ σαβαρίχις, ἡ σαβαρίχη, ἡ σαμαρίχη signifient tous « le sac » (LSJ). La métaphore serait incompréhensible si l’on n’y joignait ὁ σάκανδρος (Ar. Lys.) « grossier vêtement en poils de chèvre », qui explique la présence de cet objet par son caractère touffu. Toutes ces variantes montrent que ces mots ne s’écrivaient guère mais se disaient, avec les déformations que cela engendre…

À tout seigneur tout honneur, le terme ἄφρις est l’hypocoristique de Ἀφροδίτη selon Chantraine et désigne la même chose que μύρτον selon Hesychius…

 

Pudenda utraque

 

Après les mots désignant le sexe de la femme, quelques mots spécifiques désignant plus généralement les parties sexuelles : τὰ αἰδοῖα « parties honteuses » est le plus fréquent mais désigne en général les parties de l’homme quand τὸ αἰδοῖον « chose honteuse » semble désigner celles de la femme ! Qu’on se rassure, la femme accède pourtant au pluriel avec τὰ μόρια « parties », τᾶ μέζεα « soucis / entre-deux », qui s’emploient pour les deux sexes. De même, μύσχον est glosé par Hesychius : τὸ ἀνδρεῖον καὶ γυναικεῖον μόριον.

 

Pudenda virilia

 

τὸ μῆδος « souci (?) » au singulier est propre à l’homme et peut être relié à τᾶ μέζεα.

τὸ πέος est plus original : c’est le terme médical encore aujourd’hui pour désigner le « pénis », d’où cette blague en grec moderne είμαι ευροπέος / ευρωπαίος... « je suis européen / je suis doué d’un large pénis… » (par à-peu-près : « mon pays c’est l’Europe, mon pénis c’est l’Europe », mais on perd la moitié du jeu de mot)

De la même famille, ἡ πόσθη désigne particulièrement le « prépuce », comme ἡ ποσθία, τὸ πόσθιον (ὁ κέρκος « queue [des animaux] » est donné comme synonyme de πόσθη par Bailly). Le terme ἡ σάθη (Archil. ; Ar. Lys. ; étym. obscure) est suivi d’un pudique renvoi « = πόσθη » dans le Magnien-Lacroix.

Les archéologues parlent volontiers d’ ὁ φαλλός « phallus », d’étymologie incertaine, pour l’attribut de Priape, sexe en érection (« ithyphallique », de ἰθ-ύς,-εῖα,-ύ : « droit »). Une variante phonétique, thrace, se lit chez Hérodote : τὸ βαλλίον, qui prend aussi les formes βίλλος ou βιλλίν.

 

1. Plantes

 

Première métaphore en beauté : ἡ κριθή, « grain d’orge » (cf. μύλλω ci-dessous).

Ensuite, nous n’avons rien inventé : ὁ βάλανος désigne le « gland », comme l’adjectif substantivé, récurrent chez Aristophane et souvent rendu par « gland à l’air » : ὴ ψωλή (Lys. 143 ; Av. 560 ; idem en grec moderne), ψωλός signifiant « circoncis » (Av. 507 ; Eq. 964).

 

2. Animaux

 

Quant à ce que l’Anthologie appelle « le lézard » chez les petits garçons (XII-3 ; cf. le médiéval casus pendens), il se dit ἡ σαύρα, à côté de ὁ δράκων et de ὁ ὄφις « le serpent »

Mais ὁ / ἡ κύων « le chien / la chienne » sert aussi à désigner le prépuce, frenum præputii (Bailly, citant Galien), membrum virile, inferior praeputi pars cuti adnata comme écrit Guillaume Budé dans son Lexicon sive dictionarium græco-latinorum (1562). Cela explique : « jurer par le(s) chien(s) », formule de serment notamment pratiquée par Socrate : « Mets ta main sous ma cuisse et je te ferai jurer par l’Éternel. » (Pone manum tuam subter femur meum, / Ut adjurem te per Dominum Deum cæli et terræ, Genèse XXIV-2 ; cf. pone manum tuam sub femore meo, XLVII-29) ; l’étymologie de « témoignage » : latin testis + suffixe -monium (qui indique un acte), car, quand les Romains témoignaient, ils portaient leur main sur leurs testicules (gr. τὸ μηρός ; lat. femur) ; enfin le sens de κύω : « Anubis […] parce qu’il porte en son ventre et engendre toutes choses, ce qui se dit κύειν en grec, fut surnommé Cyon, soit chien », témoignage (!) de Plutarque dans Isis et Osiris.

Dans le domaine sonore, l’hapax ἡ λάλου désigne le « zizi » du jeune garçon d’après un terme onomatopéique qui renvoie au chant de la cigale ou au cri de l’hirondelle (i.e. qui chante ou fait crier comme elles). Sur ce terrain, ἡ χελιδών et ἡ τιτίς luttent de concert avec ἡ λάλου

 

3. Objets manufacturés

 

La peau des bourses est nommée ἡ πηρίν / ἡ πηρίς « besace » (scrotum in Magnien-Lacroix) et ὁ κώρυκος « sac », désigné par ἡ ὄσχή (« jeune pousse ») chez Hippocrate. Elle contient les nugæ, que le grec appelle οἱ δίδυμοι (Anth. Pal. V, 105) ou ὁ γείτων (τὰ δύο αἰδοῖα selon Hesych.), et οἱ ὄρχεις pour les médecins.

Pour désigner une autre partie des parties, Homère utilise une fois ἡ κορύνη, « massue, gourdin », pour le membrum virile (Chantraine). Mais ὁ τόλυξ « fuseau » (de laine) désigne plus précisément le pénis (Hésych. cité par LSJ), tout comme un autre mot, apparenté étymologiquement : ὁ τύλος « protubérance ». On doit donc négliger le sens de « courge » attesté pour τόλυξ dans la Bible !

Plus martial, τὸ στῆμα désigne la partie extérieure du membre viril, la « hampe » (de la lance), tout comme ὁ καυλός « tige de plante » est employé au sens de pénis par Hippocrate. Pour filer la métaphore militaire, τὸ ξίφος « épée » et ἡ μάχαιρα « couteau » s’emploient selon Hésych. dans le même sens (cf. notre « braquemart »).

En dehors du domaine militaire, τὸ κοτίλιον désigne une espèce de récipient et ἀνδρὸς αἰδοῖον (Hesych.).

 

Verbes d’action

 

Le verbe σκυζάω-ῶ (de σκύζα « le rut »), « être en chaleur », s’applique aux chiennes et juments mais aussi aux femmes, alors dites μάχλοι (comme en parlant de la vigne « qui épanche sa sève »), soit : « qui mouillent ».

Dans la famille de ἡ κορεία / τὸ κόρευμα, « la virginité », κορεύομαι, « vivre en jeune fille » selon Bailly, signifie bizarrement « perdre sa virginité » selon LSJ (d’après Phérécyde). Le sens d’ἐκκορίζω est quant à lui évident : « déflorer ».

Aux vigoureux οἴφω τινά (étym. obsc., c’est-à-dire obscure) / βινέω-ῶ τινα (« forcer, violer » ? à moins que ce ne soit une déformation de βυνέω-ῶ, traité ci-dessous), « inire, coïre » dans Magnien-Lacroix, on peut préférer l’imagé μύλλω, « moudre le grain » (Théocrite ; Bailly écrit seulement « avoir commerce avec », pudique ; et Magnien-Lacroix n’ajoute que « sexuel ») ou le désidératif (sic) βινητιάω-ῶ.

Plus proche du français, βυνέω-ῶ / βύω signifie « bourrer » (Chantraine) et s’emploie pour l’acte de chair. Chantraine indique que βύττος (γυναικὸς αἰδοῖον dixit Hesych.) dérive de βύω. Ce σχῆμα ἀφροδισιακόν selon Hesychius, qui n’a pas attendu le Kama-Sutra, se dit ὁ σκύλαξ, « le chiot ». L’excellent Bailly donne « faire des obscénités » pour πυγίζω (paedicare in LSJ), mais c’est proprement « enc… » (cf. la Vénus « callipyge », épithète également d’Emm. Béart). Concret également, ληκάω-ῶ signifie « faire claquer ».

Correspondant à un autre « schéma », κελητίζω, formé sur ὁ κέλης (cf. supra), signifie « chevaucher » (Ar. Vesp. 501). Pour les plus subtils néanmoins, κλειτορίζω ou encore κλειτοριάζω se traduit par « caresser le clitoris ». Quant à λιχμάομαι que d’aucuns traduisent par fellare (Anth. Pal. V, 38), moi je le traduirais par « lécher ».

Les plaisirs solitaires s’obtiennent par des verbes comme δέφω ἑαυτόν, δέφομαι ou φλάω-ῶ (masturbari).

 

Je m’arrêterai là même si je suis conscient des lacunes fort importantes de cet exposé, notamment dans le vocabulaire des amours homosexuelles.

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 10 DÉCEMbre 2008

 

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