Brève n° 191
La chanteuse grecque Savina Yannatou se joint au groupe
Constantinople pour le spectacle La nuit aux 1000 oreilles, lundi 23 février 2009, dans le cadre de Montréal
en lumière, au Centre Pierre-Péladeau. Article de Marie-Christine
Blais, paru dans La Presse.
L'Épitaphe de Seikilos
est la plus ancienne partition musicale complète au monde: son texte en grec et
ses signes de notation musicale remonteraient à deux siècles avant J.-C. Oui,
on peut la chanter. Et elle le sera, chantée, au cours du spectacle La nuit
aux 1000 oreilles donné lundi prochain par l'excellent groupe
Constantinople, accompagné de la chanteuse grecque Savina Yannatou. Vingt-trois
siècles plus tard...
Dans
le petit café de la rue Saint-Denis, c'est avec une réelle émotion que se
penchent sur la reproduction de l'Épitaphe la journaliste et Kya
Tabassian, directeur musical du trio Constantinople, né à Téhéran, mais vivant
au Québec depuis 19 ans, enfin joueur émérite de sétar (luth perse à trois
cordes).
Ce
« morceau » de musique, ainsi que des dizaines de fragments de partition très
anciens, Constantinople les a utilisés pour composer la musique du spectacle La
nuit aux 1000 oreilles. Pourquoi ce titre? Parce que ce sont des mots
tirés, eux, d'un poème de la grande poète grecque Sappho, qui vécut quelque
sept siècles avant Jésus-Christ. Et, outre l'Épitaphe, les poèmes de
Sappho - ce qu'il reste puisqu'un seul nous est parvenu dans son intégralité -
seront aussi du nouveau spectacle de Constantinople.
«C'est
la première fois que nous travaillons avec des sources aussi anciennes,
explique avec passion Kya Tabassian. Nous ne sommes pas des musicologues, mais
ce répertoire nous touche énormément. C'est à partir d'un poème de Sappho que
l'idée m'est venue: il y a deux ans, on m'a remis un livre de ses poèmes
traduits en anglais, et un vers m'a vraiment bouleversé: «Someone will
remember us, I say, even in another time».» Quelqu'un se souviendra de
nous, je le crois, même en d'autres temps...
«Je
trouvais très touchant que, plus de 2500 ans plus tard, il y ait ce lien entre
elle et nous, reprend Kya Tabassian. Notre approche a été de nous inspirer de
la musique qui existait à l'époque pour ses poèmes, qui sont en grec ancien. Et
dès le départ, il nous est apparu qu'il fallait une chanteuse qui parlait
grec.»
Cette
chanteuse, c'est Savina Yannatou, qu'on pourrait comparer à Loreena McKennitt
par la beauté de la voix, l'ouverture d'esprit et les connaissances musicales.
De formation classique, elle a marié musiques moyen-orientale et occidentale
jusqu'à pencher vers le jazz contemporain et l'improvisation. Avec ou sans son
groupe Primavera en Salonico, elle a enregistré 15 albums en 11 ans. «En
septembre dernier, à Vienne, j'ai donné un premier spectacle avec
Constantinople (car, outre ses spectacles au Québec, Constantinople donne
annuellement une trentaine de représentations dans le monde entier) avec mon
répertoire séfarade, explique de sa belle voix Savina Yannatou, en direct de
Grèce. C'est ensuite chez moi, à Salonique, que nous avons fait quatre jours de
résidence pour ce projet. C'était la première fois que je travaillais ainsi:
improviser à partir d'un répertoire très ancien, tenter de combler les trous
des fragments - un peu comme ces fresques anciennes partiellement effacées dont
on comble mentalement les manques -, utiliser des mots et des musiques d'un
autre temps, mais aujourd'hui.»
Car
c'est le plus fascinant de l'histoire: «Avec du matériel si ancien, si
fragmentaire, explique Kya Tabassian, la seule voie possible était de nous
rendre à la frontière de la musique contemporaine, avec parfois seulement deux
notes tenues pendant une minute...»
Pour
qu'on apprécie la beauté des textes de Sappho, Kya et son frère Zya
(percussions) ainsi que Pierre-Yves Martel à la viole de gambe, ont demandé à
D. Kimm, âme du festival Voix d'Amériques, de réciter en français les poèmes de
Sappho, lundi. Ils ont également fait appel à la clarinettiste Lori Freedman,
bien connue pour ses explorations en musique contemporaine et en jazz. Le
spectacle sera également présenté en France l'automne prochain. Car
Constantinople s'est souvenu de Sappho, en d'autres temps...
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 22 fÉvrier 2009