Billet du 15 janvier 2009 sur le blogue samuelroy.blog.lemonde.fr
Depuis Thèbes je poursuis ma route vers le nord et longe le
rivage d’une mer Egée qui prend ici les formes d’un lac ; l’île d’Eubée à
quelques brassées seulement semble vouloir épouser un continent qui l’a
pourtant délaissée. Autrefois l’on apercevait d’ici les élégants monuments
d’une ville antique mais le temps a fait son œuvre, dispersant même son
nom. Plus au nord la route se resserre en un étroit défilé dont le nom cette
fois a traversé l’Histoire, Thermopyles. Voie unique vers l’Attique,
nombre de puissants y ont laissé leurs illusions, tandis que leurs soldats y
perdaient la vie. Aujourd’hui ce n’est plus un obstacle mais une curiosité où
les falaises ont enseveli leurs secrets.
Un événement y frappe les consciences, la bataille des
Thermopyles, épisode sanglant, tragique moment où en -480 l’armée perse, vaste
machine impériale, forte de ses 200 000 hommes aguerris, se
présente face aux quelques phalanges grecques venues de Sparte
et de Thèbes défendre, cette fois unies, la survie d’un pays. Le
combat est d’avance déséquilibré et lorsque les Thébains
trahissent et passent chez l’ennemi, pour les seuls 4 000
spartiates la lutte devient
désespérée. Rien n’effraie cependant ces vaillants soldats
qui quatre fois se lancent à l’assaut d’un ennemi tout-puissant dont les
lignes reculent sans rien céder, assurées d’une issue favorable à un
combat par trop inégal. Léonidas, roi de Sparte, menait les siens vers une fin
héroïque; ils y laisseraient la vie sans perdre les honneurs.
Certains s’abstiendront peut-être de
commenter la trahison de Thèbes pour privilégier le
sacrifice de Sparte, souhaitant voir les Grecs rassemblés dans une
même communauté, et il y a là certes une part de vérité. Partout dans le monde
grec on parlait une même langue, on honorait les mêmes dieux, on se plaisait
aux mêmes jeux, mais en dehors de ces mœurs policées, l’histoire grecque est
remplie de cette rivalité, jalousie, incapacité à se rassembler, que les Grecs
nomment d’un même mot, phtonos. A chaque cité un état autonome, et même
entre voisines grandes étaient les haines, tenaces les rancunes.
Faut-il rappeller l’absence de Sparte à Marathon, les querelles précédant l’attaque
de Salamine, la confusion sur le champ de bataille de Platées ou les appels
désespérés et sans réponse d’une Asie Mineure assiégée? Et même lorsqu’ils
s’entendent au cours des guerres médiques (il en va de leur survie!), à
peine réunis ils semblent à nouveau vouloir se désunir, puis même
s’anéantir dans une guerre fratricide dont ni Athènes ni même Sparte ne se
relèveront jamais. Un homme, à peine grec, peut-être tyran, génie sûrement, les
contraint à s’allier; alors unis comme une nation, ils conquièrent le
monde connu en répandant des valeurs trop universelles pour être
circonscrites aux murs d’une cité. Alexandre offrait à l’histoire grecque un
tout autre prolongement, celui d’une politique commune, ambitieuse,
généreuse, et non plus partisane, restreinte, intéressée. La Grèce avait
été hellène, le monde serait hellénistique.
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 1er AVRIL 2009