Billet du 26 janvier 2009 sur le blogue samuelroy.blog.lemonde.fr
Sur le flanc sud de l’Acropole est situé le théâtre de
Dionysos, peut-être le plus illustre de tous, et le premier dans
cette Athènes qui fut le grand précurseur de la tragédie
grecque. C’est là que furent données les représentations des plus
célèbres pièces du répertoire classique. Un matin je m’y dirigeais sans
imaginer que j’y assisterais à une scène d’un genre plutôt moderne.
J’y rencontrais un homme cultivé, mais de ceux-là
qui jugent à la mesure de leurs connaissances livresques. Je l’entendais avec
ses accents de nos contrées pérorer sur le génie grec. Il prenait la pose des
sages, et de sa bouche enflammée distillait des mots choisis à un public averti
d’amis enfiévrés dont l’émotion semblait se lire sur les fronts perlés de
gouttes de sueur et qui semblait fasciné par cet homme pointant vers
l’Acropole son index de professeur. Dans les Grecs il voyait tour à tour les
plus inspirés, les plus brillants, les plus artistes de tous les hommes du
passé. Leur sûreté de jugement les avait portés à couronner Eschyle,
Sophocle et Euripide de préférence à tous leurs obscures comparses. Dans la vie
politique, ajouta-t-il, l’opinion de chacun était respectée, la liberté
d’expression vénérée, et depuis les faubourgs de l’Attique on voyait ces
citoyens par milliers se rendre en procession vers les assemblées de plein air
où les joutes démocratiques conféraient aux devoirs sacrés. L’art
grec aussi fut inégalé, et jamais plus sa perfection ne serait approchée
par tous ceux, Romains les premiers, qui s’acharneraient à le copier. Ils
avaient élevé l’éducation à des niveaux que nombre d’états modernes
continuaient de leur envier. L’Athénien poursuivait son éducation bien
au-delà des bancs de l’école, que ce soit sous les portiques de
l’Agora et ses discussions animées, sur les travées de théâtres
toujours fort bien fréquentés ou lors des régulières assemblées
aux quantités de sujets abordés. Tout cela avait contribué à faire du Grec
de l’époque classique le prototype de l’honnête homme duquel nous devrions tous nous
inspirer. Il finissait enfin par ces mots qu’il s’appliquait à bien
faire résonner: « cet hellénisme triomphant a brisé toutes les
barrières anciennes et s’est répandu comme une sève nouvelle dans l’esprit
humain ». Sur ces dernières paroles il se laissait choir sur un siège
de marbre, épuisé.
Je l’avais écouté, me délectant de cette franche passion qui
illuminait son discours. Dans cette enceinte où la voix portait si bien, tous
les yeux s’étaient fixés sur lui, et lorsqu’il se tut un long silence tomba comme
si tous les visages de l’hémicycle s’étaient soudain pétrifiés. Un homme
pourtant, venu de la scène, continuait tout ce temps à monter une à une les
marches du théâtre. L’on voyait ses yeux briller et il avait une longue barbe
blanche qui lui donnait l’aspect d’un de ces pâtres grecs à qui l’on ne peut
donner d’âge; il se rapprochait de mon orateur toujours
affaissé, puis enfin, tout près, s’adressa à lui d’une voix
limpide et certaine, au prix d’un léger accent qui trahissait une origine
locale : « Tout cela est vrai. Les Athéniens couraient au théâtre,
admiraient la parure superbe de l’Acropole, participaient fiévreusement à la
vie politique de leur cité. Mais en même temps, cher Monsieur, ils en
chassaient Anaxagore et Phidias, ils condamnaient à la mort Socrate, ils
réservaient les privilèges de la démocratie aux seuls hommes, et encore
fussent-ils nés de parents athéniens. Les femmes étaient recluses bien-sûr, les
étrangers qui contribuaient grandement à la richesse économique d’Athènes
n’avaient ni droit de vote ni même de propriété. Quant à leur
philosophie, elle semble n’avoir rien trouvé de condamnable à ce qu’une
personne en possède une autre. Savez vous que dans l’Athènes classique on
comptait environ 100 000 esclaves pour 300 000 habitants. S’il est une chose
que les Grecs nous ont léguée, c’est la mesure, que ce soit dans l’emphase
comme dans la diatribe. Ne soyez pas si sûr, cher Monsieur, de tout ce que
vous avancez car vous risqueriez par vos méthodes de dévoyer ceux que vous
souhaitiez louer».
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 1er AVRIL 2009