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Brève n° 234

 

Takis Théodoropoulos, Le Roman de Xénophon

 

Compte rendu par François Gadeyne sur son blogue Anagnosis de Takis Théodoropoulos, Le Roman de Xénophon, roman traduit du grec par Michel Grodent, Sabine Wespieser éditeur, 2005

 

Tout le paradoxe de ce roman est dans le titre, Le Roman de Xénophon (Τὸ μυθιστόρημα τοῦ Ξενοφώντα, qui comporte à la fois le mot "roman" et le nom d'un personnage historique. L'ambiguïté peut déranger le lecteur ; et je crois que c'est intentionnel. À chaque page, les nombreuses (et très intéressantes) notes sont autant d'invitations à aller plus loin, comme des fenêtres ouvertes vers d'autres lectures. Comble du paradoxe, le roman s'achève même par une invitation à lire et relire Xénophon lui-même...

Visiblement hostile aux conventions du genre, l'auteur manie une écriture qui déborde le genre romanesque. Ainsi, Théodoropoulos utilise tantôt utilise des sources réelles (Platon, Diogène Laërce, Plutarque, etc., et Xénophon lui-même), tantôt invente des sources imaginaires ; mais il les présente à peu près de la même façon : "selon les uns..., selon les autres..." On se saurait mieux obliger le lecteur à se plonger dans l'Anabase, dans les Helléniques, et dans une littérature grecque elle-même si fragmentaire que l'imagination est, de toute façon, sans cesse sollicitée...

De même, aux personnages historiques, ce "romanquête" (néologisme à la mode...) en mêle d'autres, dont il invente à peu près tout. Le romancier fait à cet égard des hypothèses ingénieuses. Ainsi, dans l'Anabase, Xénophon parle d'une Milésienne que les mercenaires grecs auraient sauvée, en l'arrachant des mains des soldats Perses. Cette Μιλησία (Milésia), dans le roman, devient la "Philésia" qui fut, d'après Diogène Laërce, l'épouse de Xénophon...

Autre hypothèse : Xénophon, dans les Helléniques, donne à l'auteur du récit de la retraite de dix-mille (l'Anabase) le nom de Thémistogène de Syracuse. Pourquoi Xénophon ne s'est-il pas attribué à lui-même le récit ? On a pu ainsi imaginer que, par modestie, Xénophon n'avait pas voulu se nommer. Mais Théodoropoulos fait de ce Thémistogène une sorte de secrétaire de Xénophon, un fidèle co-auteur, qui depuis l'expédition des dix-mille aurait été aux côtés de l'Athénien, et lui aurait même donné l'idée d'écrire...

Autre exemple encore : on sait que Xénophon écrivit les Helléniques pour donner une suite à l'œuvre de Thucydide. Les manuscrits de Thucydide, dans le Roman de Xénophon, parviennent à l'issue d'un naufrage entre les mains de Thémistogène, qui les confie à Xénophon... Une note précise : "Selon d'autres, c'est Thucydide en personne qui aurait donné [à Xénophon] les manuscrits de l'Histoire de la guerre du Péloponnèse [...] D'autres encore, plus soupçonneux, soutiennent que Xénophon les subtilisa à Thucydide"...

Ce roman rempli d'histoire est donc aussi une invitation à rêver, en explorant la multiplicité des possibles narratifs. Le lecteur est renvoyé aux textes, à l'archéologie... mais, en même temps, le mot "roman" l'invite à se laisser aller à cette rêverie. Ne dit-on pas qu'avec la Cyropédie Xénophon serait l'ancêtre des romanciers, et l'œuvre elle-même de Xénophon ne se laisse-t-elle pas lire comme un vaste roman ?

C'est un dernier aspect qu'il faut signaler dans cet ouvrage original. Ecrire le roman d'un auteur, c'est se placer face à lui en miroir, et chercher à chaque page son écriture dans celle de l'autre. L'écriture de Theodoropoulos est seconde : dans les phrases de Xénophon, elle tente d'élucider ce qu'on peut appeler le roman d'une vie.

L'écriture romanesque, dans ce roman pétri d'histoire, est aussi à la recherche de sa propre liberté : dans quelle mesure s'écarter de la réalité historique ? de la chronologie établie par les historiens ?... La liberté du romancier le conduit à établir, plutôt qu'une chronologie rigoureuse qu'il ne se prive pas de transgresser, un sens : donner à cette vie un fil rouge, un sens, à une œuvre au premier abord semble en manquer grandement. Le roman permet de dégager quelques axes dans l'œuvre de Xénophon : le souvenir de Socrate, la sourde rivalité avec Platon, la nostalgie d'Athènes... mais aussi, sur un plan plus philosophique, la réflexion sur la force et la faiblesse, sur la réalité et l'imaginaire, la solitude du "Connais-toi toi-même"...

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 1er AVRIL 2009

 

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