Brève n° 281
Les Héritiers d’Homère
Entretien de Jérôme Vincent avec
Nathalie Dau, des éditions ActuSF, en juin 2009
ActuSF
: Comment est née l’idée de ce projet ? Quelle était la ligne directrice
de ce recueil ?
Nathalie
Dau :Tout a commencé lorsque j’ai dirigé, pour les éditions Nestiveqnen, l’anthologie
L’Esprit des Bardes (parue en 2003). Déjà, à l’époque, je souhaitais
monter une collection d’anthologies inspirées chacune par les mythes d’une
civilisation ou d’une sphère culturelle. Malgré le succès de L’Esprit des
Bardes, nourri de mythologie celtique, Nestiveqnen a choisi (et je respecte
ce choix) de ne plus éditer d’anthologies. Mais j’étais restée avec mon idée,
et j’ai finalement créé les éditions Argemmios pour pouvoir la mener à bien. Les
Héritiers d’Homère est donc le premier opus de la collection « Périples
Mythologiques », même si l’on pourrait dire que L’Esprit des Bardes
en était le pilote (comme dans les séries télé).
Pour
ce premier opus, j’ai proposé aux auteurs de puiser leur inspiration dans les
mythes grecs. Pour le second opus (dont le sommaire est bouclé), on a traversé
l’Atlantique pour s’intéresser aux indiens d’Amérique du Nord. Actuellement,
les auteurs qui le souhaitent planchent sur les mythes germano-scandinaves
(dead line de l’AT : 30 septembre 2009).
La
ligne directrice est toujours la même pour chacun des opus de la collection :
nous demandons des textes nourris par une sphère mythologique donnée. Nous
laissons beaucoup de temps aux auteurs afin qu’ils puissent lire et se
documenter sur le sujet, acquérir une bonne compréhension au moins du mythe
précis qu’ils vont se réapproprier. Le mythe est vivant, il peut être
reformulé, complété, extrapolé, transposé, pris à contre-pied, peu importe tant
que le résultat est un texte intelligent, sensible, fort, stylé.
ActuSF
: Pourquoi avoir choisit la référence à la mythologie grecque ? Qu’est-ce
qui te semblait intéressant là dedans ?
Nathalie
Dau : La mythologie grecque est celle qui est la mieux connue du grand public,
puisqu’elle est étudiée, au moins superficiellement, au collège. Elle est
également très présente dans nos métaphores quotidiennes, elle a nourri nombre
de films à grand spectacle (comme Le Choc des Titans, ou encore Troie
et 300 ces dernières années). De nos jours, en lettres classiques,
on étudie encore le grec ancien et les auteurs de l’Antiquité. Les mythes grecs
sont très présents dans le théâtre (Racine, Corneille, Anouilh). Alors offrir
aux auteurs de se pencher d’abord sur le matériau mythologique qu’ils étaient
le plus susceptibles de maîtriser était un bon moyen de les « mettre dans le bain
» par rapport à nos attentes. Ils ont été plus nombreux à oser se lancer,
écrire un texte et nous l’envoyer, que pour l’opus suivant consacré aux
Amérindiens !
ActuSF
: Comment s’est fait le choix des auteurs ?
Nathalie
Dau : De façon classique : un appel à textes, des textes reçus, une dead line,
une lecture par le Comité de Lecture qui a permis d’opérer une première
sélection, une seconde lecture pour dégager les textes qui nous semblaient les
plus pertinents, les plus en rapport avec nos attentes. Nous regardons les
textes, pas le nom de l’auteur, lorsque nous effectuons notre sélection. Et c’est
ainsi que nous sommes amenés aussi bien à refuser des auteurs confirmés qu’à
retenir de toutes jeunes plumes auxquelles nous avons offert leur première
publication.
ActuSF
: Il y a pas mal de jeunes auteurs dans le sommaire, représentent-ils selon toi
une nouvelle génération d’écrivains de fantasy et de science fiction ?
Nathalie
Dau : Il est un peu tôt pour parler de « nouvelle génération ». Il arrive qu’un
auteur excelle sur un premier texte puis ne soit plus autant inspiré pour les
suivants. Mais oui, j’ai découvert, par le biais de cette anthologie, de jeunes
plumes qui m’ont vraiment bluffée et que je crois très prometteuses. Seul le
temps nous confirmera ce sentiment.
ActuSF
: As-tu eu des surprises en recevant les textes ?
Nathalie
Dau : On va se concentrer sur les bonnes surprises. Le texte de Claire Jacquet
en fait partie : je ne m’attendais pas à recevoir de récit écrit et présenté
comme une pièce de théâtre, pourtant ce fut le cas. Une pièce courte mais si
fine, avec un humour si intelligent, si jubilatoire, que je me suis régalée
avec ce texte. Je ne m’attendais pas non plus à trouver un tel érudit de la
Grèce antique chez Yan Marchand, son texte est une véritable immersion dans la
pensée des temps homériques et relie les dieux à ce qu’étaient réellement leurs
fonctions (mises en évidence par Dumézil dans Mythe et Epopée).
Excellente surprise aussi avec Eliane Aberdam : cette toute jeune fille nous a bluffés
par la maturité de sa plume et la force de l’émotion qu’elle parvient à
dégager, alors que Aube est son premier texte publié. Sinon, je n’ai pas
été surprise de recevoir un texte quasi parfait de la part de Jeanne-A. Debats,
mais j’ai été surprise, dans le bon sens, par le thème choisi et la façon de le
traiter. Mayday est d’une violence superbe, efficace, écholalique à souhait.
Je pourrais parler ainsi de chaque texte au sommaire, pratiquement, puisque la
surprise participe de la séduction. Si, lors de la lecture, nous avons un
sentiment de déjà vu, déjà lu, si la chute nous apparaît comme trop évidente et
si le style pèche au niveau inventivité et personnalité, nous ne sommes pas séduits
et donc nous ne sélectionnons pas.
D’un
point de vue plus général, j’ai été surprise de constater combien les auteurs
(même les auteurs non retenus) avaient été surtout inspirés par les Enfers et
les mythes qui s’y rattachent. En raison des blockbusters récents que sont Troie
et 300, je craignais surabondance de textes inspirés par ces films,
mais non. La mort, l’après vie, voilà les grandes préoccupations actuelles. Peu
de textes guerriers. Encore moins de textes sur l’amour. Aphrodite a failli
être absente du glossaire, c’est dire ! Alors que les Erinyes, ces furies
vengeresses, ont remporté bien des suffrages.
Souvent
la fantasy se retrouve dans des cycles au long cours, est-ce que le genre se
fond bien dans la nouvelle : Est-ce que le format court se prête bien à la
fantasy ? La fantasy est un genre littéraire, elle peut donc être déclinée
sous toutes les formes, comme tous les genres littéraires. Tout dépendra ensuite
du talent de l’auteur. On peut trouver des cycles franchement mauvais et des
short stories jubilatoires, tout comme l’inverse. Certaines histoires n’ont pas
besoin d’être délayées, d’autres ont besoin de se déployer au fil des pages car
elles ont davantage d’envergure. Ensuite, ça dépend aussi des attentes de
chaque lecteur. Certains aiment s’immerger longtemps dans l’univers, la quête,
les aventures imaginées par un auteur, et d’autres préfèrent glisser d’une histoire
à l’autre au sein d’un recueil ou d’une anthologie.
ActuSF
: Quels sont les autres projets d’Argemmios ? Qu’est-ce qui va sortir ?
Nathalie
Dau : Au planning 2009, nous allons sortir en septembre le collectif Flammagories
ainsi qu’une novella de Pierre Gévart, puis en octobre-novembre nous
devrions publier le second titre de notre collection de livres-disques pour
enfants : Grisemine, le petit chat qui voulait voler, écrit et illustré
par Isabelle Chatel Merlier. Et notre seconde anthologie mythologique : Chants
de Totems. Nous avons également en projet, pour 2010, un recueil de
nouvelles de Fabrice Anfosso, un roman jeunesse de Philippe Halvick, l’anthologie
féerique Changelins et l’anthologie mythologique Le Butin d’Odin. Evidemment,
pour que tout cela soit possible, il faut du temps et surtout des finances,
donc des ventes de nos premiers titres. Mais nous en sommes tous là.
ActuSF
: Et quels sont tes projets à toi ?
Nathalie
Dau : En tant qu’auteur finir les Contes Myalgiques 2, écrire un roman
jeunesse dont j’ai déjà le synopsis, et boucler enfin le premier tome de mon
cycle de fantasy. J’ai aussi deux préfaces et quelques textes hors recueil à
écrire. Autant dire qu’entre la maison d’édition et l’écriture, je ne manque
pas de travail !
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 19 JUIN 2009