Brève n° 282
Le Grec et le Latin au cœur de l’Europe
Elizabeth Antébi, licenciée ès Lettres classiques et
en Histoire de l’Art, docteur en histoire des sciences religieuses, est auteur
de quelques livres. L’entretien date du 6 juin 2009.
J’ai demandé à Élisabeth Antébi, organisatrice su
Festival européen de latin et de grec comme l’idée d’une semblable
manifestation lui est venue à l’esprit. Voilà sa réponse…
Pourquoi un Festival européen latin grec ?
Parce que quand je lis les journaux, ouvre ma télé ou
clique sur Internet, je comprends différemment, à la lumière de Xénophon,
Hérodote, Tacite, Tite-Live ce qui se passe en Iran, en Egypte, en Allemagne,
en Africa Romana, et ailleurs. Un très récent numéro spécial du Spiegel vient
d’ailleurs de présenter les « Barbares » à la lorgnette allemande, c’est-à-dire
… célèbrent la victoire des Goths et de leur chef, Arminius.
Comment parler d’Europe, si l’on ne comprend pas cela
? Si l’on sait pas que l’idée de la Paix, chère aux Pères Fondateurs Schumann
et Monnet remonte à l’un des plus jeunes-vieux auteurs de théâtre, Aristophane
(voilà 2 500 ans !), qui écrivit plusieurs pièces à ce sujet, dont une ainsi
baptisée. Si l’on veut ignorer les contours du Limes romain, dont le mur
d’Hadrien à la limite de l’Ecosse ou les marches de Germanie – classés par
l’Unesco comme « patrimoine mondial ». Si l’on oublie que les « droits de
l’homme » ont été pour la première fois mis en scène par Eschyle dans Les
Perses – première pièce où un combattant vainqueur se met dans la peau des
ennemis vaincus – parce que ce sont des hommes comme lui. Si l’on néglige la «
parité du Nu » accordée aux femmes dans nos parcs publics depuis qu’une
certaine Phryné eût posé pour Praxitèle et gagné le procès intenté par les
pudibonds.
Sans parler de ce qu’on rappelle toujours – «
l’invention de la démocratie » par Solon et Périclès, du grand reportage par
Hérodote, de l’histoire par Thucydide, du théâtre et de la poésie, de l’exploration
et de la technique, de la Loi romaine, de notions et d’un vocabulaire précis et
universels qui ont permis la philosophie.
Pourquoi les inventeurs de noms de marques (dont la
trace remonte jusqu’au Cratyle de Platon, comme le rappelle Marcel Botton,
président de l’agence Nomen) choisissent-ils de mots latins ou grecs ? Pourquoi
les titres de série X-Files sont-ils en latin ? Pourquoi sont-ce deux « Majors
in Classics », Kate Rowling et Ted Turner qui ont connu la réussite que l’on
sait, l’une avec ses Harry Potter truffés de latin, l’autre avec la création de
CNN, première chaîne d’informations américaine ? Pourquoi vingt-quatre Astérix
ont-ils été traduits en latin et trois en grec ancien ? Et « Bonjour Tristesse
» (Tristitia Salve) de Sagan ou « Peter Rabbitt » (Fabula de Petro Cuniculo) de
Béatrix Potter ? Et tant d’autres, de Pinocchio (Pinoculus) au Petit Prince
(Regulus) ou à Winnie-the-Pooh (Winnie Ille Pu) …
Pourquoi tant de sites Internet et de radios de « News
» en latin sur la Toile ? Ephemeris, journal polonais, Yle radio finlandaise,
sans parler des radios en latin de Brême, Sarrebruck ou italienne ? Et les
cercles de latin vivant qui se développent dans plusieurs pays d’Europe et aux
Etats-Unis ?
Et les films qui célèbrent Troie, Rome ou les 300 de
Leonidas ?
Et les scientifiques, les médecins et chirurgiens, les
hommes de loi qui ne peuvent totalement s’abstraire du latin, voire du grec.
Les centres antipoison qui doivent déposer leurs ingrédients en latin – langue
bien plus précise que l’anglais, qui garantit contre les faux-amis. Les latin,
langue universelle toujours aujourd’hui des herboristes, botanistes,
jardiniers. Et ces enfants qu’en ZEP on rattrape à coup de grec ancien –
hommage soit rendu en particulier à l’association METIS et à son âme, Augustin
d’Humières, professeur à Meaux. Ou ceux à qui l’on dispense des cours sur
l’univers parallèle virtuel « Second Life » ?
Pourquoi ce Festival ? Pour partager la beauté,
l’émerveillement, la découverte incomparable de textes-clés de notre « psyché »
consciente et inconsciente.
Et parce que « c’est fun », comme on dit aujourd’hui,
ou comme le chantait Brigitte Bardot, « c’est rigolo » ! Que l’on peut rire
avec sérieux, être sérieux en souriant. Et que l’humour, indispensable à la
coexistence des hommes, le choix, indispensable au bon exercice de toute
démocratie, ne peuvent naître que du sens bien compris des mots et des jeux sur
les mots.
Ce n’est pas en trépanant nos mémoires que l’on pourra
« faite » l’Europe : elle n’est pas à « construire » ou à « faire », elle est
tout bonnement à retrouver dans toute sa richesse et sa diversité, à partir
d’une plate-forme commune, de valeurs communes – même si l’on n’ose plus
utiliser un mot si dévalué : à Bruxelles, la statue d’une femme, sortie de la
côté de l’homme, brandit dans le bronze un « E » en forme d’€. Est-cela la «
valeur » de l’Europe ?.
C’est cette plate-forme que nous avons tenté d’offrir
à ceux qui nous rejoignent et animent le Festival, lui donnent son souffle et
son esprit.
Et pour finir, et ne pas prendre d’exemples français à
connotation trop émotionnelle ou partisane, rappelons le message du Maire de
Londres, Boris Johnson, qui avait lorsqu’il était journaliste, défendu le latin
à l’école en descendant en toge dans la rue, qui avait aussi parlé grec ancien
à des électeurs grec de la capitale, dans le bureau duquel trône une statue de
Périclès, et qui vient de nous accorder un entretien filmé pour soutenir le
Festival : c’est le mot fameux de Solon d’Athènes : GERASKW
AEI DIDASKOMENOS – « J’apprends toujours en vieillissant ».
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 19 JUIN 2009