Brève n° 287
Strabon le géographe à la bibliothèque de Maubeuge
Quand l'écrivain De Rudder nous dévoile des trésors
Article paru le vendredi 14 août
2009 sur le site de La Voix du Nord
L'écrivain
Orlando De Rudder a trouvé un véritable document à la bibliothèque de Maubeuge
: un livre de Strabon, né au Ier siècle avant Jésus-Christ, fondateur de la
géographie. Dans lequel on s'aperçoit qu'il parle même des Belges, comme nous
le rappelle Orlando dans un long texte que nous vous diffusons en plusieurs
parties.
«
La bibliothèque de Maubeuge s'adresse à tous. Elle n'est pas une bibliothèque
spécialisée pour érudits. Et c'est un bien. Toutefois on y trouve quelques
livres s'adressant plutôt à des lecteurs particuliers d'un certain niveau
universitaire. C'est un bien aussi. Je fus tout de même surpris d'y trouver
Pindare, qui m'indiffère comme il indifférait Rabelais, Hermès trismégiste qui,
comme son nom le dit, est hermétique. Et je fus ravi d'y découvrir Strabon.
Oui,
Strabon, en grec ancien avec la traduction française moderne en regard.
Souvenir de mes lointaines études, ce « père de la géographie » demeure
passionnant. Feuilleter fut savoureux car il y a chez Strabon (dont le nom veut
dire « celui qui louche », de la même famille que « strabisme ») un charme, une
sorte de chaleur que j'aurais du mal à expliquer. Ce voyageur a, certes,
compilé des textes antérieurs. Mais avec une grâce qui peut séduire le lecteur
contemporain.
Il
naquit au premier siècle et mourut au premier siècle. Entretemps, il y eut la
naissance du Christ. Ces deux premiers siècles sont, pour nous, distincts. Que
dire de sa vie mal connue ?
L'ouvrage,
dans sa présentation, est plus efficace que je le serais à ce propos. Ce qui
m'importe d'exprimer ici est le plaisir de lire retrouvé, et qui peut devenir
un agrément neuf pour le lecteur contemporain. Il n'est pas besoin d'être
savant pour lire la traduction française de Strabon : c'est clair et, très
vite, on sent qu'une poésie se dégage de ce vieux texte qui a servi de base aux
géographes durant des siècles et des siècles. Attention, cependant : il serait
malencontreux de se servir de ce livre pour voyager. Ce serait un mauvais
guide. Non pas à cause de la vétusté de cet ouvrage, mais tout simplement parce
qu'on y trouve quelques errements et fantasmes souvent amusants et faux,
parfois fantastiques, souvent fantasques qui amuseront. On a inventé tant de
choses sur des pays qu'on ne connaît pas !
Et
si Strabon a voyagé, il n'est pas allé partout ! Et a repris d'autres relations
de voyages parfois plus distrayantes que porteuses d'exactitude. Strabon avait
beau loucher, il avait l'œil vif. Et ce qui plaira particulièrement, ce sont
ses analyses, ces descriptions des mœurs et coutumes des diverses populations
traitées. Prenons les gens d'ici, appelés « Belges » comme d'habitude et comme
par César. On reconnaîtra ce qu'on nous en a dit depuis longtemps, car Strabon
demeure la source de beaucoup de manuels d'Histoire : « (les Belges)
confédération de quinze peuples répandus le long de l'Océan entre le Rhin et la
Loire, et assez vaillants en effet pour avoir pu à eux seuls arrêter l'invasion
germanique, j'entends celle des Cimbres et des Teutons. Parmi les Belges mêmes,
les Bellovaques sont réputés les plus braves, et, après les Bellovaques les
Suessions. Les Belges sont d'ailleurs extrêmement nombreux, on peut en juger
par ce que disent les historiens qu'ils comptaient anciennement jusqu'à 300 000
hommes pouvant porter les armes. On a déjà vu plus haut quelle multitude de
soldats pouvaient mettre sur pied la nation des Helvètes et celle des Arvernes
avec ses alliés, tout cela ensemble peut donner une idée de la population
élevée de la Gaule entière et justifie ce que nous avons déjà dit de l'heureuse
fécondité des femmes gauloises et de leur supériorité comme nourrices. Les
Gaulois sont habillés de saies, ils laissent croître leurs cheveux et portent
des anaxyrides ou braies larges et flottantes, et, au lieu de tuniques, des
blouses à manches qui leur descendent jusqu'aux parties et au bas des reins. La
laine dont ils se servent pour tisser ces épais sayons appelés laenae est rude,
mais très longue de poil. Les Romains réussissent pourtant, et cela dans les
parties les plus septentrionales de la Belgique, à obtenir une laine
passablement soyeuse en faisant couvrir de peaux les brebis. » C'est enlevé,
bien observé, agréable à lire dans sa concision même... Strabon s'est aussi
intéressé à nos cochons et les portraiture avec entrain ! On en mangerait.. encore
faudrait-il s'en saisir : « Les porcs ici n'étant jamais rentrés acquièrent une
taille, une vigueur et une vitesse si grandes, qu'il y a du danger à s'en
approcher quand on n'en est pas connu et qu'un loup lui-même courrait de grands
risques à le faire. Les maisons des Gaulois, bâties en planches et en claies
d'osier, sont spacieuses et ont la forme de rotondes ; une épaisse toiture de
chaume les recouvre. La grande quantité de bétail, surtout de moutons et de
porcs, qu'ils possèdent, explique comment ils peuvent approvisionner si
abondamment de saies et de salaisons, non seulement Rome, mais la plupart des
autres marchés de l'Italie. »
DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 15 SEPTEMBRE 2009