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Brève n° 301

 

Marie-Hélène Lafon s'impose

 

Article de Delphine Peras, Lire, septembre 2009 sur Marie-Hélène Lafon, L'Annonce, Buchet-Chastel, 196 pages, prix : 15 €.

 

Livre après livre, la romancière Marie-Hélène Lafon s'impose. Portrait.«Je suis née dans une famille de paysans», déclare d'emblée ce petit bout de femme faussement austère, une allure de première de la classe avec ses fines lunettes et sa diction presque précieuse. Prof de français et de latin-grec depuis vingt-cinq ans en banlieue parisienne puis à Paris même, Marie-Hélène Lafon, née en 1962 à Aurillac, revendique farouchement ses racines rurales. Elle en a fait le terreau fertile d'une oeuvre littéraire singulière et puissante qui trace sa route sans dévier depuis Le soir du chien, son premier roman, prix Renaudot des lycéens en 2001. Aujourd'hui, cette personnalité passionnée, obstinée, «extrêmement tenace», dit sa soeur aînée Dominique, publie son septième livre, L'annonce. Sous-entendu «la petite annonce», celle que Paul, 46 ans, paysan de Fridières, dans le Cantal, évidemment, a passée dans Le Chasseur français. Annette, 37 ans, répond. Originaire de Bailleul, dans le Nord, mère d'un garçon de 11 ans, cabossée par la vie, elle veut croire aux lendemains qui chantent et vient s'installer dans la ferme de Paul.

La cohabitation avec la famille de ce dernier ne va pas de soi... Mais l'auteur des Derniers Indiens, son précédent roman, dur, dérangeant, signe cette fois une histoire plus tendre, apaisée. Et si l'écriture est toujours aussi exigeante, polissant chaque mot à l'extrême - pour évoquer le «silence gras» des hommes au café du coin, la «pâte épaisse des habitudes», la «nuit molle et mouillée» -, elle est aussi moins rude, moins hachée.

«Quand j'écris, je rejoins mon vrai pays, c'est très intestin, très organique, comme malaxer la viande», explique Marie-Hélène Lafon, parisienne depuis trente ans, qui reçoit chez elle, non loin de Nation. Son vrai pays, c'est la région de Clermont-Ferrand, où ses parents fabriquaient du saint-nectaire. Elle y a passé les dix-huit premières années de sa vie, rythmée par les travaux de la ferme, entre fenaisons et soin des bêtes, «cette agriculture de moyenne montagne qu'on voit dans les films de Raymond Depardon». Chez les Lafon, les livres étaient rares, on lisait surtout La Montagne et Paris-Match - «Mick Jagger a peu de secrets pour moi!», plastronne la romancière. L'école comblera les manques. «J'y ai trouvé le goût de la lecture et de l'écriture. Très jeune, j'ai su que raconter des histoires serait mon affaire.» Dominique, elle aussi enseignante, précise: «Ma soeur est une sorte de rescapée des mots. Elle s'est enfermée dans une forteresse de livres, un univers spécifique qui la mettait un peu à l'écart.» Elève dans un pensionnat religieux de Saint-Flour, de la sixième à la terminale, étudiante à la Sorbonne, puis agrégée de grammaire en 1987, Marie-Hélène attendra pourtant d'avoir trente-quatre ans avant de prendre la plume. «Je me suis rendu compte que je passais à côté de ma vie.»

 

Une drôle de dame attachée à la terre

 

Son premier texte, une nouvelle publiée plus tard dans son recueil Liturgies, elle le fait lire à Pierre Michon, l'un de ses écrivains de prédilection. Malgré ses encouragements, c'est le parcours du combattant pour se faire éditer. Marie-Hélène Lafon s'essaie alors au roman. Bien vu: les éditions Buchet-Chastel retiennent Le soir du chien. Elles ne lâcheront plus cet auteur un peu à part, qui peaufine inlassablement ses écrits, en quête d'absolu. «Mon travail, c'est le corps-à-corps avec le texte, jusqu'à l'éreintement. Je lâche prise par épuisement.» Intarissable sur le sujet, l'écrivain renchérit: «Il faut que l'écriture soit le plus maigre possible. Je cherche à faire respirer la phrase, à la pousser à bout. Flaubert for ever!»

Drôle de dame, qui revient sans cesse à la terre tout en chérissant l'imparfait du subjonctif; qui affiche un air un peu pincé et s'avère très sociable; qui court les expos, adore le cinéma et la danse contemporaine, chérit la musique de Bach plus que toute autre, et se régale seulement des (vrais) produits du terroir - «Chez nous, on tuait le cochon!» Drôle de dame qui vit seule, sans compagnon ni enfant, et déclare franchement: «Je n'en ai jamais voulu. Pour autant, mes livres ne sont pas mes enfants.» Mais elle a beau dire: «Je ne vis pas de mon écriture, je suis libre»; et encore: «c'est un constant miracle d'être encore publiée, de trouver des lecteurs»... on sent qu'elle aimerait bien, secrètement, sortir de la confidentialité et connaître un vrai succès public. Parions qu'il sera, enfin, au rendez-vous pour ce nouveau roman qui le mérite vraiment.

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 16 SEPTEMBRE 2009

 

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