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Brève n° 306

 

Sur le bateau d’Ulysse : « Socrate parmi nous »

 

Une émission de France-Culture par Gérard Gromer, diffusée le 12 août 2008, 17e d’une série (Sur le bateau d’Ulysse) de 25

 

Hölderlin, déjà en 1802, interrogeait le devenir des Anciens Grecs. Ne sont-ils pas menacés ? Ne risquent-ils pas, un jour, de disparaître ? Cette inquiétude est largement confirmée aujourd'hui : nous sommes en train d'oublier les Grecs, et le nouvel ordre mondial renforce chaque jour cette ignorance, cet illettrisme. Les Européens se sont détournés de la source grecque, acceptent un monde sans mémoire, et ne savent plus qui ils sont !

La question de Hölderlin : " que devient le grec ? ", les hellénistes ne sont plus seuls à la poser. Des écrivains, des artistes, des intellectuels ont compris l'intérêt qu'il y a à redécouvrir les Grecs. Car revenir aux anciens Grecs, c'est revenir à nous-mêmes, c'est nous redécouvrir autrement.

Le titre de cette série s'inspire d'un vers d'Euripide : " Et nous, devenus matelots sur le bateau d'Ulysse, toujours nous servirons Dionysos ".

Ces 25 émissions donneront l'occasion à des " professionnels de l'Antiquité grecque " : épigraphistes, archéologues, historiens, anthropologues, philosophes, mais aussi à des spécialistes d'autres disciplines : astrophysiciens, juristes, sinologues, passionnés d'éthologie, de remonter vers les anciens Grecs en portant à la connaissance du public les découvertes, les perspectives, les nouveaux chantiers. Mais c'est d'abord par la littérature et l'art, - que l'on songe à l'Odyssée, à l'Orestie, aux nouvelles traductions de la métaphysique d'Aristote -, que l'Antiquité grecque monte aujourd'hui vers nous. Les témoignages sont là, qui constatent l'étonnante fraîcheur de ces vieux textes, que nous sommes peut-être prêts, en ces temps de profonds bouleversements, à entendre vraiment.

Avec Anastasia Politi, metteur en scène, directrice de la compagnie Erinna ; réalisation : Sylvie Migault ; prise de son : Nadège Antenini.

 

***

 

Gérard Gromer :

 

Dans un monde dominé par la marchandise, la technique, le spectacle, il faut de la générosité, de l'amour, de la détermination pour oser entretenir, au cœur d'une société planétaire, culturellement très affairée, un contact vivant, un contact non falsifié avec les anciens grecs, avec leur théâtre, leur littérature, leur philosophie.

J'accueille aujourd'hui Anastassia Politi, metteur en scène, comédienne, chanteuse, née à Athènes. Anastassia Politi assure depuis 1995 la conception et la création des projets de la Compagnie Erinna.

 

Erinna, c'est, je crois, une poétesse ?

 

Anastassia Politi : Oui. Erinna, c'est une poétesse de l'antiquité, contemporaine de Sappho, dont il ne reste que quelques vers. Nous savons simplement qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de 18 ans, à peu près, puis, elle a disparu.

 

Et la Compagnie Erinna a une mission, qui est de revisiter et d'interroger la culture hellénique, c'est une de vos missions, en tout cas...

 

AP : Oui, et c'est une de ses missions qui s'avère être la plus importante, finalement.

 

Et vous avez été sélectionnée pour représenter la Grèce déjà dans un projet européen de recherche théâtrale quand vous étiez en résidence, je crois, à Villeneuve - les -Avignon ?

 

AP : Oui, en effet, la saison 1989-1990, j'ai fait partie d'un spectacle intitulé « Est-ce déjà le soir ? » de Jean-Pierre Sarrazac, mis en scène par Christian Schiaretti, dans le cadre officiel du Festival d'Avignon, et c'était une première entrée dans la profession en France.

 

Et c'est là que vous avez été repérée par Jacques Lassalle qui vous propose de jouer dans une pièce d'Euripide...

 

AP : Alors, Jacques Lassalle, oui, il m'a aussi engagée par la suite, mais c'était surtout Stéphane Braunschweig qui m'avait repérée lors de cette production en 1990. Jacques Lassalle également m'a proposé de travailler avec lui, dans « Andromaque » d'Euripide.

 

Donc, l' « Andromaque » d'Euripide qui a été joué, notamment, je suppose, dans le cadre du festival d'Avignon ?

 

AP : Oui, plusieurs années plus tard, et c'était repris ensuite en tournée, entre autres à la Maison des Arts à Créteil, au Théâtre national de Strasbourg et dans d'autres lieux en France.

 

Alors, dès la fin des années 1990, vous abordez le mythe de Médée, vous faites donc revenir Médée parmi nous, après bien d'autres, Heiner Müller ou Christa Wolf...

 

AP : Oui, j'ai voulu revisiter cette figure de la mythologie, qui évoque énormément de choses, et mon but était d'interroger cette figure féminine et de comprendre comment elle a été transformée de déesse de la fécondité et de la sagesse - comme l'étymologie de son nom l'indique - à cette mère infanticide qu'on connaît à travers Euripide, et tous les autres qui l'ont ensuite suivi dans cette approche.

 

Parce qu'il y a eu quand même plusieurs approches chez les Grecs déjà de Médée, elle n'est pas toujours une meurtrière...

 

AP : Non. Médée fait partie d'une lignée de Déesses - Mères, d'une époque très, très ancienne, bien antérieure de l'époque historique, d'un supposé matriarcat. On sait que les divinités féminines, ce sont elles qui étaient d'abord célébrées et adorées, et Médée était une de ces Déesses - Mères, qui ne faisaient pas du tout de mal à ses enfants ... Au fur et à mesure que la société passait d' un mode d'organisation de type matriarcal - on le suppose encore, ce n'est pas prouvé, mais on le suppose - à une organisation patriarcale,   dans les temps historiques, ces anciennes divinités sont devenues secondaires, et Médée est passée aux rangs d'une figure secondaire, pour ensuite devenir une sorcière, et pour se transformer, enfin, à travers la fameuse tragédie d'Euripide, à la mère infanticide.

 

Et donc, votre spectacle, il s'intitule Médéa / Fictions, est un spectacle qui s'articule autour de cette problématique du crime passionnel, et de l'infanticide...

 

AP : Oui, mais qui remet en question cette image de Médée en tant que mère infanticide, et qui se réfère aux premières versions de ce mythe, donc de la mère non infanticide, mais au contraire, protectrice de l'agriculture, maître de la médecine, celle qui protège la fécondité.

 

Vous avez fait appel à plusieurs auteurs pour traiter certaines facettes de ce personnage ?

 

AP : Oui, je me suis dit qu' Euripide, avec tout le respect que j'ai pour notre ancêtre à nous tous, et tout en admettant que - aujourd'hui, je le sais - que c'est un auteur qui parle en bien pour les femmes - ce n'est pas un auteur qui les condamne, et la figure de Médée, de sa tragédie, a sa valeur immense, bien sûr, je me suis dit néanmoins qu'Euripide s'est trompé en ayant fait d'elle l'incarnation de la mère meurtrière. Et j'ai voulu déclencher des écritures contemporaines qui seraient inspirées des premières versions du mythe : selon la première, Médée ne tue pas ses enfants, malgré la trahison de son mari Jason, malgré le fait qu'il y a l'exil, qu'il y a le chagrin et tout cela... J'ai voulu qu'un auteur d'aujourd'hui s'inspire également de la deuxième version du mythe qui nous raconte que Médée a tué ses enfants, mais par accident. Elle a voulu pratiquer un rituel d'immortalisation, lorsqu'elle fut chassée avec eux de Corinthe, et la déesse Héra, qui était son adversaire, car elle appartenant au panthéon du patriarcat, elle a fait en sorte que le rituel de Médée rate, et donc, Médée, au lieu de protéger ses enfants, elle les a tués...

 

Donc, vous inscrivez cette situation dramatique dans un contexte contemporain ?

 

AP : Dans un contexte contemporain dans la mesure où j'ai voulu que ça soit des auteurs vivants qui revisitent ces versions, et qu'ils nous proposent leur mythologie personnelle, bien entendu, leur fiction inscrite dans le monde d'aujourd'hui, imprégnée de leurs propres impressions, sachant qu'il y a eu une troisième version qui est directement inspirée de la version d'Euripide, à savoir, de la mère infanticide, en effet.

 

 

Parce que les trois versions ne sont pas toutes du genre tragique...

 

AP : Non, non, la première, signée Serge Saada, c'est une parodie de la tragédie d'Euripide. Son héroïne se trouve aux antipodes de l'héroïne d'Euripide, et c'est une femme d'aujourd'hui, une immigrée en France, grecque d'origine, et qui subit ce sort très banal de la femme abandonnée par son mari, avec ses enfants, et qui fait une dépression. Elle va donc voir son psy, qui, par fantaisie de l'auteur, lui conseille de lire la tragédie d'Euripide, Médée, qu'elle prend au pied de la lettre. L'héroïne de la pièce de Serge Saada essaie de ressembler à cette héroïne antique, pour dépasser sa dépression. Elle raconte donc au public comment elle a essayé d'être Médée, la Médée du mythe euripidien, et elle n'a pas pu. Et toute la réflexion, c'est un point de vu très tendre, par rapport aux femmes, pourquoi une femme n'est pas porteuse d'une tellement grande violence que suppose ce geste meurtrier, malgré toute la douleur qu'elle peut subir, et c'est aussi une réflexion sur les couples mixtes, sur la maternité, et sur la passion amoureuse, évidemment, avec, derrière, une envie de porter sur la femme un regard, non pas féministe au premier sens du terme, qui peut devenir péjoratif dans certains contextes, mais un regard moderne, résolument moderne sur la femme et sa relation à l'homme aujourd'hui.

 

Anastassia Politi, l'âge de Médée a beaucoup d'importance, alors dans ce contexte, il faut que ça soit une femme jeune...

 

AP : Oui, la Médée du mythe est, comme tous les héros mythiques, une personne très jeune. Médée, lorsqu'elle fut amoureuse de Jason, avait à peine 16 ans, donc oui, mes personnages sont aussi très jeunes.

 

Un moment important de votre formation, c'est la rencontre avec deux proches collaborateurs de Grotowski, dans quelle langue est-ce qu'ils vous ont fait travailler ?

 

AP : Ah ! Ludwik Flashen notamment, et il y a aussi Zigmund Molik, à qui je dois beaucoup quant à ma formation dans l'art de l'acteur. Ils m'ont fait travailler, dans un premier temps, dans ma langue maternelle, donc le grec moderne, en passant aussi par le grec ancien, pour un retour aux origines, et ensuite au français.

 

Arrive un moment, en 2002, où vous êtes invitée à Chypre, et où vous êtes censurée par les autorités chypriotes, que s'est-il passé ?

 

AP : Il s'est passé que j'ai voulu continuer mon exploration de ces figures mythologiques de l'antiquité, qui m'inspirent beaucoup. J'ai voulu donc proposer un spectacle sur la figure d'Aphrodite, et, pour moi, c'était un débat ouvert sur l'amour vu par la Grèce classique, et l'amour vu par le monde judéo-chrétien, le rapport au corps, j'entends, et au sacré. Par ailleurs, j'ai voulu faire, en même temps, un état des lieux à Chypre aujourd'hui, aujourd'hui c'était l'année 2002. Une fois de plus, je me suis appuyée sur le texte d'un auteur vivant, de Baptiste Marrey, et ses « Carnets des îles », édités par le Temps qu'il fait. C'est un livre qui relate les impressions de voyage de l'auteur à Chypre dans les années 90, ainsi qu'une méditation autour d'Aphrodite - puisqu'elle est originaire de l'île selon la légende, et toujours présente quelque part dans les esprits ou dans les vieux marbres...J'ai ponctué ce texte de Baptiste Marrey, avec son accord, bien entendu, d'un ensemble de poèmes sur l'amour ou sur la guerre depuis l'antiquité à nos jours, en réunissant des poètes aussi bien grecs que chypriotes ou turcs. J'ai présenté l'ensemble comme une matière à réflexion et à rêverie, dans une mise en scène atypique, d'un spectacle qui n'était pas un texte dramatique traditionnel, comportant une création d'images et de musiques. Et tout cela a beaucoup dérangé les autorités chypriotes, donc le ministère de la culture de l'époque, qui a qualifié ce travail, qui mettait en effet en valeur la pensée de la Grèce par rapport à l'amour (qui était, comme vous le savez, tout à fait différente, à l'opposé de ce que deux mille ans de monothéisme nous enseignent), le ministère chypriote donc a pensé que le spectacle était pornographique...

 

Est-ce qu'on s'attendait au fond à une image d'épinale de Chypre avec le méchant turc...

 

AP : Oui, peut-être, ce qui n'était pas du tout notre propos, peut-être que c'était ça leur attente, et on s'attendait à ce que je parle plus, que je mette plus en valeur ce qui apparemment à l'air d'être très, très puissant, une force incontestable aujourd'hui, la vision chrétienne de l'église orthodoxe.

 

Est-ce que vous pouvez repréciser les relations d'Aphrodite avec cette île, parce que tout le monde ne sait pas que, en effet, que Chypre est la patrie de cette déesse. Est-ce qu'il y a encore des traces, un temple...

 

AP : Absolument, il y a un magnifique temple à Pafos, il y a la plage où émergeait Aphrodite de l'écume des vagues et il y a aussi les bains où aujourd'hui encore, de jeunes femmes chypriotes y vont se baigner en pensant que le fait de se baigner dans ce petit ruisseau va leur apporter beauté et fécondité... Moi, ce qui m'intéresse dans tout ça, c'est qu'il y a cette persistance de ces croyances païennes à travers des siècles, qui cohabitent quelque part, qui ont imprégné aussi bien le christianisme que l'islam, tellement présents dans l'île, et tout mon intérêt était là, d'aller chercher ce qui reste encore dans les mentalités, dans la littérature, dans le quotidien des gens, de ces croyances ancestrales, de ce mythe, et aussi de cette façon d'affronter les choses et le sacré. Il me semble que c'est absolument nécessaire aujourd'hui de  réinventer une notion du sacré en dehors du religieux, et c'est pour ça que, se repencher à la mythologie, se repencher à la Grèce antique, pour moi, c'est fondamental.  Malheureusement, comme vous le savez, l'esprit de la Grèce antique est antagoniste de l'esprit et de la conception du sacré, du divin que véhiculent le christianisme, l'islam ou le judaïsme, il y a eu donc conflit entre ces éléments. Je pense qu'on a subit un peu ce conflit quant à cette censure là...

 

Est-ce que Aphrodite se retrouve chez les poètes grecs, chypriotes, turcs, quand ils évoquent l'amour ?

 

AP : Oui, oui, c'est vrai qu'Aphrodite est très présente dans la poésie chypriote contemporaine, que ce soit grecque ou turque d'ailleurs. Arès aussi - son amant, n'est-ce pas ?- puisque l'amour et la guerre vont de paire... En même temps, je trouve que Chypre, comme la Grèce aussi, quelque part, est en train de perdre son identité, parce qu'il y a cette société d'aujourd'hui, avec la mondialisation, avec la perte de repaires culturels, le mélange des langues - la moitié des mots qu'on dit à Chypre aujourd'hui vient de l'anglais. Et il y a, quand même - ce qui est absolument fantastique - il y a aussi des mots très, très anciens qui viennent de l'époque d'Homère, qu'on ne dit pas en Grèce, mais, comme Chypre c'est une île, ces mots - là ont été préservés, ils sont restés là, présents. Pour moi, Chypre, c'est un mille-feuille de strates diverses de civilisations, comme Baptiste Marrey l'indique, souvent imbibées de sang, mais très intéressant. C'est un concentré de l'Europe, de l'histoire européenne.

 

Vous avez aussi tenté un rapprochement entre la condition de la femme grecque de l'antiquité et de la femme iranienne d'aujourd'hui...

 

AP : Oui, c'est exacte, c'est vrai que le thème de la femme est aussi au centre de mes préoccupations de metteur en scène. Sur l'invitation d'un ami iranien qui organisait, qui organise toujours d'ailleurs, un festival des intellectuels et artistes iraniens en exil.

J'ai proposé donc un chantier, ce n'était pas un spectacle fini, mais un chantier plutôt, qui mettait en parallèle deux cas de procès de femmes : le procès de Phryné, qui était une hétaïre, une courtisane, de l'époque de Périclès, et le procès d'une jeune iranienne dans les années 2000 - en 2004 plus précisément - en Iran, dans un tribunal islamique. Ce qui lie ces deux femmes, c'est le fait que les deux étaient accusées pour le crime de l'impiété (terme bien vaste) et les deux risquaient d'être condamnées à mort. Pour ce crime, d'ailleurs, selon la même accusation, Socrate fut condamné à mort. Or, la différence, c'est que Phryné fut acquittée, puisque c'était une belle femme, et le fait d'être belle, pour les Grecs, signifiait qu’il y avait du divin ancré dans la beauté.

Alors, Phryné, était d'une tellement grande beauté, qu'elle avait servi comme modèle pour des peintres, pour des sculpteurs, pour représenter la statue de la déesse Aphrodite; elle ne pouvait donc pas être une personne sans vertu. Pour faire preuve de sa beauté, « son avocat », a dénudé Phryné en plein tribunal devant les cinq cent un juges de l'Aéropage... Et la jeune femme fut acquittée, parce que les juges ont du penser : « non, une si belle femme ne peut pas être  immorale, elle ne peut manquer de piété au point d'être condamnée à mort ». Donc, Phryné fut libérée.

Même chose en 2004, enfin, « même chose »...c'est une façon de parler. En 2004, en Iran, une jeune femme de seize ans est accusée d'impiété. Pourquoi ? Pour « comportement incompatible avec la chasteté » - pour des relations sexuelles en dehors du mariage, sachant qu'il s'agissait aussi, on pouvait le supposer, de viol.... Bon, je ne sais pas si Atéfeh Radjavi a en effet été violée, ou si elle avait, de sa propre volonté, eu des rapports avec un homme. Toujours est-il, elle fut condamnée à mort pour cela, et dans le tribunal où elle était jugée, elle s'est dénudée, telle Phryné. Elle a dénudée elle-même une partie de son corps, en tout cas, son visage et sa poitrine, pour montrer à ses juges ses traces de tortures...non pas pour exposer la beauté de ses attributs féminins...ce qui a ravivé encore plus la haine, la hargne de ses juges, qui l'ont envoyée à la mort (par pendaison) - d'après ce que j'ai appris, par les journaux français - en violant toutes les procédures juridiques. Cela est un cas, mais il y a en  d'autres - nous le savons très bien. Des femmes, par le monde entier, humiliées, punies, mises en prison, mises à mort, parce qu'elles voulaient, tout simplement, maîtriser leurs corps et leurs vies.

 

Vous avez évoqué tout à l'heure Socrate, et l'année dernière, vous lui avez rendu visite, et il n'attendait que ce moment là pour prendre la parole... Que représente pour vous Socrate ?

 

AP : Socrate, c'est le premier héros de la liberté de penser. C'est quelqu'un qui a défendu ses idées au prix de sa vie, et qui n'a jamais voulu la mort de qui que ce soit qui n'était pas d'accord avec lui. Il a donné un exemple de courage moral qui est resté à travers les siècles. Socrate c'est aussi l'enfant de la ville d'Athènes, un Athénien qui a aimé sa ville à en mourir, et qui, à l'époque de Périclès, a interrogé la jeune démocratie athénienne. Il a vécu à la fois la gloire et le déclin d'Athènes et de sa démocratie. C'est une grande figure, très mystérieuse, puisque, comme tout le monde le sait, Socrate n'a jamais rien écrit- on le connaît à travers les écrits de ses élèves (Platon, notamment) mais aussi par les écrits d'autres contemporains, dont Aristophane et Xénophon. Je me suis penchée sur lui parce que je pense, qu'aujourd'hui, on a besoin de combattre la montée des obscurantismes, des fanatismes de toutes sortes, on a besoin, donc, d'avoir des références, et la référence à cette figure fondatrice de la philosophie m'a parue absolument nécessaire. Pour continuer cette démarche que j'avais commencée avec « Pour Aphrodite», par exemple.

 

Socrate vous a inspiré un spectacle avec deux volets, « Socrate parmi nous », qui est un spectacle qui a deux parties : « Cabaret Socrate » et puis « Socrate m'a dit ».

 

AP : Oui, j'ai voulu faire... jeter un pont entre l'antiquité et le monde d'aujourd'hui, et j'ai proposé deux créations indépendantes, la première étant le « Cabaret Socrate, » qui est un montage d'extraits de l'œuvre de Platon, de Xénophon et d'Aristophane, que j'ai choisi sur les conseils de Sarane Alexandrian, et que j'ai adapté, avec son aide, en le ponctuant de musique et de chants. Il raconte de façon très simple - sachant que je m'adresse à un public jeune, pas forcément érudit - la vie et la mort de Socrate dans le contexte de l'Athènes de Périclès. Et il y a un deuxième spectacle, « Socrate m'a dit », qui est une pièce inédite de Sarane Alexandrian, qui met en scène un rêve : celui d'une femme d'aujourd'hui qui rencontre Socrate dans son sommeil, et il y a entre eux un dialogue qui s'engage. C'est une histoire d'amour quelque part, et la femme interroge Socrate sur des questions qui la préoccupent, qui sont des questions d'actualité. Vous connaissez Sarane Alexandrian...

 

Oui, c'est un surréaliste de l'après-guerre, on peut dire ?

 

Oui, tout à fait, il est écrivain, essayiste, poète, qui fut très jeune ami d'André Breton. Aujourd'hui, il est la mémoire du mouvement surréaliste d'après-guerre. Il a signé déjà une centaine d'œuvres et m'a fait l'honneur - et le plaisir- d'écrire et de me dédier sa pièce « Socrate m'a dit ».

 

Et cette femme, qui dialogue avec Socrate sait que cette apparition est imaginaire, mais finalement, elle se prend au jeu. C'est un petit peu ainsi que fonctionne cette pièce, c'est une apparition onirique ?

 

AP : Oui, Socrate est une apparition onirique, et contrairement à l'image habituelle qu'on a de lui cette apparition, ce n'est pas un homme vieux, austère et laid (comme Platon l'indique) mais un beau danseur et amateur de femmes. Dans ma mise en scène, il est interprété par le danseur-jongleur François Chat.

 

Donc, c'est un spectacle qui est aussi musical ?

 

AP : Il y a de la musique également, signée Philippe Blanchard - de la musique acousmatique.

Il y a également une création d'images de Frédéric Durand – Drouhin. Nous allons remettre tout cela en chantier, de nouveau, puisque finalement, il y aura même un troisième volet - ça, c'est la toute récente nouvelle : Christophe Dauphin,  jeune poète, auteur et essayiste, a lui aussi, de son côté, écrit spontanément une nouvelle fiction sur Socrate, inspirée de « Socrate m'a dit » de Sarane Alexandrian. Nous allons donc prochainement pouvoir proposer une trilogie...

 

Vous avez, Anastassia Politi, évité finalement les falsifications néo-classiques qu'on voit souvent arriver et qui masquent au fond ce que les Grecs ont à nous dire, ces Grecs qui sont menacés d'oubli et qui sont si vivants, et qui, grâce à des artistes comme vous, prennent à nouveau la parole.

 

DATE DE PUBLICATION EN LIGNE : 2 OCTOBRE 2009

 

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